Avant tout, le catharisme était une religion dont nous n'avons, le plus souvent, qu'un pâle reflet au travers des nombreux documents directement ou non en provenance de l'inquisition. Mêmes les ouvrages qui servent de référence comme
« Le Catharisme » de Jean Duvernoy (éditions Privat, Toulouse, 1992) utilisent largement ces sources partiales mais riches que constituent les dépositions inquisitoriales qui suivirent la reddition de
Montségur, réputée synagogue de Satan par l'église romaine.
« ... Dieu ne fait pas de beaux blés et n'en a cure,
c'est le fumier qu'on met dans la terre qui les fait... »
Déposition de Pierre Authié (1300)
Extrait du Registre d'Inquisition de Jacques Fournier, cité par Jean Duvernoy (« Le Catharisme, la religion des cathares », éditions Privat, Toulouse, 1992)
Bien qu'apparenté par certains aspects à la pensée dualiste bogomile, le catharisme a, à lui seul, fait couler beaucoup d'encre (et fait circuler de nombreux octets !) pour déterminer réellement sa provenance. Le fait de partager des idées avec un autre courant de pensée ne signifie pas obligatoirement qu'il existe un lien entre les deux ...
Le bogomilisme avait pris un essor considérable en Bulgarie, sous le règne de Pierre I
er (927-929). Certaines caractéristiques ont été pourtant en désaccord avec celles que le catharisme développa quelques décennies plus tard, en particulier en ce qui concerne l'Eglise Romaine considérée comme la manifestation de Satan, par ses dignitaires par trop dispendieux (d'où le terme de prélats). Le bogomilisme est parfois considéré aujourd'hui comme un mouvement révolutionnaire.
La
région occitane n'a pas manifesté de telles réactions sauf au travers des chevaliers qui avaient perdu leurs terres et leurs fortunes, à la suite de leur position politique et religieuse pendant la croisade.
Le catharisme est aussi parfois relié à
Manès (ou Mani), fondateur du manichéisme, qui vécut au III
ème siècle en Mésopotamie. Certaines similitudes existent en effet, en particulier en ce qui concerne l'approche dualiste du monde, séparant ainsi le matériel du spirituel, le mal du bien. Aucun texte cathare ne fait cependant référence à
Manès et il est probable que ce rapprochement soit plutôt une interprétation actuelle qu'un lien véritable entre ces deux courants de pensée. Reconnaissons tout de même que ces deux visions du monde ont eu aussi en commun leur extermination ...
La filiation du catharisme et du manichéisme est fortement remise en cause par certains spécialistes, notamment Anne Brenon (voir notamment ses ouvrages
« Le vrai visage du catharisme » aux éditions Loubatières, 1990 (réédition),
« Les cathares, vie et mort d'une église chrétienne », Paris, 1996 et
Petit précis de catharisme, aux éditions Loubatières, 1996).
La pensée dualiste est un élément fondamental du catharisme :
« ... Mais si le Seigneur vrai Dieu, avait, au sens propre et principal, créé les ténèbres et le mal,
il serait à n'en pas douter la cause et le principe de tout mal, ce qu'il est vain et funeste de penser. »
Extrait du « Livre des Deux Principes »
Réédition de 1973, aux éditions du Cerf, collection des Sources Chrétiennes
« ... Ils distinguent donc deux créateurs, Dieu et le diable, et deux créations, l'une des êtres invisibles et immatériels
et l'autre des choses visibles et matérielles. »
Extrait du « Manuel de l'Inquisiteur » de Bernard Gui, réédition de 1964, aux éditions Les Belles Lettres, Paris
S'inspirant des aveux du parfait Pierre Authier, Bernard Gui appelle les cathares les Manichéens du temps présent. On retrouve de nombreuses informations, certes déformées par la vision de l'inquisiteur, dans l'ouvrage
Le registre d'inquisition de Jacques Fournier (3 tomes ; première édition en 1494 ; rééditions par Mouton / La Haye, Paris, 1978). La désignation de
Cathare vient du grec
catharos, signifiant "les purifiés" (inventé par Eckbert, abbé de la double abbaye de Schönau, vers 1163).
Les cathares eux-mêmes ne se dénommaient que bons chrétiens ou bonshommes. Une distinction était opérée entre ceux qui avaient reçu le
Consolamentum, sorte d'ordination, et les simples croyants. Le premier groupe constituait la véritable hiérarchie cathare, avec les parfaits qui prêchaient généralement par deux : le
fils majeur et le
diacre. Il existait aussi un ou plusieurs
fils mineurs, antichambre des futurs
parfaits itinérants. L'ensemble était coordonné par un
évêque dont la charge était géographiquement délimitée. A l'aube de la Croisade, on comptait alors six évêchés : Agen, Lombers, Saint-Paul,
Cabaret, Servian et
Montségur. Parmi les sièges de diacres, on peut remarquer Moissac,
Cordes,
Toulouse, Puylaurens, Avignonet,
Fanjeaux, Montréal,
Carcassonne,
Mirepoix,
Le Bézu,
Puilaurens,
Peyrepertuse,
Quéribus,
Tarascon-sur-Ariège, ... (voir le chapitre 2 de la troisième partie du livre
« Le catharisme** - L'Histoire des Cathares » de Jean Duvernoy, aux éditions Privat, Toulouse, 1992).
Mais pour définir une réelle définition de la pensée cathare, il faut replacer celle-ci dans le contexte historique. Ainsi, la lecture des dépositions faites à l'Inquisition, les commentaires actuels d'historiens de renom tels que Jean Duvernoy, René Nelli, Michel Roquebert, Anne Brenon, ... complétés par certains ouvrages de références tels que le
Livre des Deux Principes et le
Rituel Cathare sont indispensables afin de cerner au mieux ce qui constitue aujourd'hui une charnière de l'histoire de France.
Quatre grandes approches peuvent être développées par rapport au catharisme :
- L'hérésie, dont le catharisme, s'est développée dans tous les pays d'Europe et la manifestation militaire dans le Pays d'Oc n'a été qu'un élément, aux proportions importantes, du combat de la Papauté envers ses "concurrents".
- Les cathares, souvent bien représentés dans les familles bourgeoises de la région - aujourd'hui surnommée cathare - ont eu un impact important dans la société médiévale occitane.
- Le catharisme, par son importance était devenu un élément important et dangereux pour la politique de Rome et celle des rois de France qui voyaient, l'un comme l'autre, une partie de leur pouvoir rogné.
- Soutenu par les pratiques symboliques du moyen âge, le catharisme a développé un ésotérisme dont nous pouvons encore trouver aujourd'hui des traces dans les citadelles telles que Quéribus, Montségur ...
Avant de replacer quelques ouvrages par rapport à l'approche qu'ils donnent, il est bon de lire les quelques sources, certes partiales, mais intéressantes telles que l'
« Histoire Albigeoise » de Pierre-de-Vaux des Cernay (Librairie Philosophique, Paris, 1951), la
« Chanson de la Croisade Albigeoise » (éditions Les Belles Lettres, Paris, 1976 ou en édition plus récente, le Livre de poche, 1989), la
Guerre contre les Albigeois (chronique anonyme en deux tomes, aux éditions Calo, Carcassonne, 1971 et 1973), la
Chronique de Guillaume de Puilaurens (éditions Calo, Carcassonne, 1970 ou plus récemment aux éditions du Pérégrinateur, Toulouse, 1996), la
Chronique (1229-1244) de Guillaume Pelhisson (CNRS éditions, 1994).
Généralement très documentés mais demandant une lecture sérieuse et attentive, ils n'en constituent pas moins un point de départ incontournable pour comprendre l'épopée cathare.
Le catharisme, hérésie médiévale
L'an mil voit se manifester de nombreuses hérésies. Elles prendront encore de l'ampleur pendant les XIème, XIIème et XIIIème siècles. Le catharisme n'est qu'un volet de ces mouvements à contre-courant de la pensée romaine. Pauvres de Lyon, vaudois, béguins, patarins, tisserands, ... le Manuel de l'Inquisiteur (de Bernard Gui, réédité par la société d'édition Les Belles Lettres, Paris, 1964) nous donne une bonne idée de la manière dont les hérétiques étaient perçus par les représentants du pape. Celui-ci appelle les cathares Les Manichéens du Temps Présent.
« ... La conversion des hérétiques manichéens est généralement sincère, rarement feinte, et, lorsqu'ils sont convertis,
ils découvrent toute la vérité et dénoncent tous leurs complices, ce qui est d'un grand profit. »
Extrait du « Manuel de l'Inquisiteur » de Bernard Gui, réédition de 1964, aux éditions Les Belles Lettres, Paris
On retrouve des cathares dans toute l'Europe, mais certaines spécificités sont à remarquer selon les régions. Ainsi, on retrouve plutôt des vaudois (de Pierre Valdo, marchand d'origine lyonnaise) dans les régions du Jura et des Alpes. Bien qu'antérieurs à ce mouvement et à son créateur Pierre Valdo (1170 environ), des hérétiques ayant des idées en tous points similaires furent livrés aux flammes des bûchers en Allemagne au début du XIème siècle. Le phénomène cathare a pris de l'ampleur au nord de l'Italie, présentant tout de même une grande particularité par la diversité des communautés et de leurs oppositions sur le dogme même. On parlera ainsi de Cathares en Lombardie et de Patarins dans le reste de l'Italie et plus particulièrement à Florence.
Notons aussi Histoire et Doctrine des Cathares (éditions Jean de Bonnot, 1996) de Charles Schmidt, qui présente de manière remarquable le catharisme dans son contexte particulier de l'Europe médiévale. La deuxième partie donne une très bonne approche de la doctrine et des mœurs cathares, sous ses aspects religieux, de morale et de métaphysique.
Les cathares et la civilisation occitane
Le catharisme était implanté dans de nombreux pays d'Europe, notamment en Italie du Nord, mais c'est dans le Languedoc, que sa manifestation a pris le plus d'importance, du fait de sa pénétration dans la bourgeoisie occitane.
Une des principales sources littéraires cathares provient néanmoins d'Italie du Nord. Il s'agit du
Manuscrit de Florence, écrit par Jean de Lugio au XIII
ème siècle. Celui-ci, originaire de Bergame, nous a laissé deux ouvrages importants pour qui veut réellement comprendre la vision cathare de l'époque : le
Livre des deux Principes et le
Rituel Cathare (tous deux réédités, avec commentaires aux Editions du Cerf, collection Sources Chrétiennes, respectivement 1973 et 1977).
La deuxième référence littéraire provient du Languedoc. Il s'agit d'un traité anonyme datant de
1220 environ. Ainsi, deux traités et trois rituels cathares sont aujourd'hui les seules sources directes qui nous permettent de comprendre le catharisme et ses particularités.
Un apocryphe d'origine bogomile,
Interrogatio Iohannis (réédité et commenté par Edina Bozoky :
« Le Livre Secret des Cathares », aux éditions Beauchesne, 1990), a été miraculeusement conservé grâce à l'Inquisition, à la suite de sa perquisition. Une version est aujourd'hui conservée dans les Archives de l'Inquisition de Carcassonne. Elle constitue, avec la rédaction de Vienne, la seule source véritable d'un enseignement ésotérique cathare.
Selon certains historiens, le catharisme préfigure le protestantisme qui se manifestera aux XV
ème et XVI
ème siècles contre Rome. Le résultat aura néanmoins des conséquences plus dramatiques, en particulier en ce qui concerne la civilisation occitane, dont le mode de vie disparaîtra peu à peu pour rejoindre l'unité française ...
L'aspect politique de la croisade contre les Albigeois
Difficile de parler de cathares, de la croisade contre les Albigeois, sans parler de l'importance politique de ces événements dramatiques. Deux volets sont à distinguer dans cette approche. Tout d'abord, il y a la mobilité de la Maison de
Toulouse, dont les comtes cherchaient manifestement à se retirer de la dépendance française en se rapprochant des rois d'Angleterre. Ensuite, il y avait véritablement un risque de «concurrence» pour l'église Romaine. En effet, celle-ci était déjà en difficulté du fait de l'instabilité du royaume de Jérusalem et des problèmes inhérents aux croisades qui recevaient de moins de participation et qui étaient souvent détournées à des fins militaires par les chevaliers croisés.
Quatre croisades en Terre Sainte avaient été réalisées avant que le pape invente et mette sur pied la seule et unique croisade en terre chrétienne. La forte pénétration du catharisme dans la bourgeoisie languedocienne a fortement contribué à l'agacement des prélats romains qui ne pouvaient ni se faire respecter par la population, ni compter sur les seigneurs occitans pour défendre leurs droits. De nombreux chevaliers finirent faidits, perdant ainsi leurs terres, en prenant résolument position contre les croisés venus du nord.
D'un point de vue strictement politique, il est clair que le traité de Paris (traité de Meaux) de
1229 fut un véritable couperet aux volontés d'indépendance du midi vis à vis du royaume de France. Le
comté de Toulouse était, géographiquement et économiquement, presque aussi riche que le reste du royaume de France. Malheureusement, les positions mouvantes et indécises des seigneurs occitans, notamment de Raymond VI et Raymond VII lui furent fatales. Dans le camp des croisés pendant les premières opérations militaires, il n'en fallait pas plus pour créer une incompréhension dans la population locale :
« défendue par un comte qui part en croisade sur ses propres terres, aidé de chevaliers du nord ? »
Les nombreuses dissensions entre les seigneurs locaux qui se manifesteront tout au long des événements seront un facteur supplémentaire de plus qui favorisera l'effondrement du
Languedoc. Les interventions directes des rois de France en
1226 et
1255 achèveront le rattachement de l'ancien
comté de Toulouse et de Provence à la France. La mort d'Alphonse de Poitiers, frère de Saint-Louiset de Jeanne, dernière représentante de la lignée de Toulouse en
1271 tournera définitivement une page de l'Histoire ...
L'histoire de la Croisade contre les Albigeois est admirablement documentée et présentée dans la série
« L'Epopée Cathare » de Michel Roquebert (en 4 tomes, aux éditions Privat, Toulouse, 1989) et la suite
« Les Cathares, de la chute de Montségur aux derniers bûchers : 1244-1329 » (éditions Perrin, 1998). Pour une approche plus synthétique et très orientée sur les châteaux cathares,
Citadelles du Vertige, du même auteur (aux éditions Privat, réédité en 1990 à partir d'articles publiés dans
La Dépêche du Midi en Août 1964).
Parmi les sources nombreuses traitant du catharisme, notons la série des
« Cahiers de Fanjeaux » (collection d'histoire religieuse du Languedoc au XIII
ème et au début du XIV
ème siècle) et la revue
« Heresis », publiée par le
Centre d'Etudes Cathares de
Carcassonne
Les sources inquisitoriales permettent aussi de se replonger dans les structures de pensée de l'époque. Ainsi, «Registre d'Inquisition de Jacques Fournier» (éditions Mouton / La Haye, 1978), «Bernard Délicieux et l'Inquisition Albigeoise, 1300-1320» (éditions Loubatières, Toulouse, 1992), ... sont des références incontournables.
Dans une approche plus abordable, Georges Bordonove, dans son livre
La tragédie cathare (France Loisirs, 1992), nous permet de situer le contexte, les enjeux et les modes de vies de l'époque.
De nombreux romans ont été écrits sur le sujet des cathares. Signalons les plus significatifs :
Bélibaste (éditions du Seuil, 1982),
L'inquisiteur (éditions du Seuil, 1984),
L'expédition (éditions du Seuil, 1991), tous trois d'Henry Gougaud,
Le bûcher, de Georges Bordonove (France Loisirs, 1993) et
L'illusion cathare de Jean-François Nahmias (France Loisirs, 1997).
Le symbolisme cathare
Conception du monde radicalement différente du christianisme, de par son dualisme intrinsèque, le catharisme a laissé rêver de nombreux poètes et romanciers. Certains ont considéré les seules architectures qui sont encore visibles de nos jours comme des témoins vivants d'un symbolisme ésotérique. Encore faut-il prendre en compte le fait que ce que nous pouvons voir aujourd'hui, n'a souvent rien à voir avec les ensembles qui existaient au moment de la Croisade ...
Jean Markale dans
Montségur et l'énigme cathare (éditions Pygmalion, 1989), Suzanne Nelli dans
« Montségur, mythe et histoire » (éditions du Rocher, 1996), Henri-Paul Eydoux dans
Cités mortes et lieux maudits (librairie académique Perrin, 1969), ...
Quéribus, temple solaire des cathares de Roland Schickler (éditions Bélisane, 1996), ... ne sont que quelques exemples d'ouvrages dont la lecture passionnante nous invite parfois à des extrapolations probablement sans réel relation avec le catharisme médiéval.
La position d'Anne Brenon est bien différente lorsqu'elle affirme, dans
Le petit précis de catharisme (éditions Loubatières 1996) que le catharisme
«... fut christianisme sans chapelle, sans statue, christianisme qui refusa toujours d'enfermer dans une parcelle de matière visible la moindre image du sacré» puis
« c'est le cœur de l'homme qui est la vraie église de Dieu ».
Bien que considéré comme une source fondamentale de la pensée cathare, l'
Interrogatio Iohannis (réédité et commenté par Edina Bozoky :
« Le Livre Secret des Cathares », aux éditions Beauchesne, 1990), constitue un autre point de vue sur la face cachée de cette religions.
Henri Gougaud, dans
Les Cathares et l'éternité (éditions Bartillat, 1997) présente, outre une étude intéressante de leur vision du monde, une prière et un rituel cathare.
Une étude récente de René Nelli
« Ecritures Cathares » (actualisée, augmenté et rééditée par Anne Brenon, aux éditions du Rocher, 1994) présente l'ensemble des sources, la Cène Secrète (
Interrogatio Johannis), le
Livre des Deux Principes, le
Traité Cathare Anonyme et les
Rituels Cathares.
« Faites attention aux faux prophètes qui viennent à vous sous des dehors de brebis,
alors qu'au-dedans ce sont des loups rapaces.
C'est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. »
Matthieu 7, 15-16