LES ORIGINES
Au départ, c'est bien sûr l'apparition de la croyance "albigeoise" comme on disait à l'époque ou "cathare" comme on dira plus tard. Contrairement à ce qu'on peut penser habituellement, cette croyance n'est pas née dans le midi de la France, mais probablement dans l'Est de l'Europe, dans l'actuelle Bulgarie vers le Xᵉ ou XIᵉ siècle. La croyance a émergé en s'inspirant de notions anciennes née en Perse : le manichéisme. Pourtant, le catharisme est bien une religion s'appuyant sur le Nouveau Testament, et dont le prière principale est le Pater. Mais de nombreuses différences séparent les catholiques et les cathares. Pour ces derniers, le monde céleste, le "royaume", gouverné par un Dieu bon est l'excellence, la terre et tout ce qu'elle supportait, le "monde", y compris la vie, est gouvernée par le mal. A partir de ce dualisme de base, l'ensemble des biens, l'organisation des hommes, la société, le mariage et la conception, l'argent et le pouvoir temporel, tout ceci est mauvais, et doit être rejeté par les croyants qu'on appellera "bons hommes" ou "parfaits" en Languedoc. Les hommes possédent chacun une âme dont le but ultime est de rejoindre le "Royaume". Ceci n'est possible que par la connaissance salvatrice du "consolamentum". Contrairement à la religion catholique où le baptème est une cérémonie de purification (le prêtre "lave" le baptisé du péché originel), le consolamentum des cathares est une cérémonie initiatique amenant la connaissance : le catharisme est une religion gnostique . La personne "consolée" doit être consciente de ses actes et de l'engagement qu'elle prend. Le consolamentum n'est pas une introduction au sein du peuple de Dieu, mais un examen terminal qui permet le passage de l'âme dans le "Royaume", et qui est le résultat d'une vie de travail, d'ascése et d'études. Enfin, les vertus principales prônées par les "bonshommes" ou "Amis de Dieu" sont le courage devant la souffrance, l'absolu rejet du meurtre et surtout la prohibition rigoureuse du serment, alors que celui-ci est une des bases du système féodal.
L'Eglise Catholique, avec son organisation, son clergé, ses possessions, ses taxes et ses richesses, ainsi que son influence politique de première importance était bien entendu rejetée par ces croyants. Il y aura des manifestations insensées pour l'époque de la part des "hérétiques" : un vendredi Saint par exemple, un hérétique fera un feu en place publique sur lequel il cuira de la viande pour la manger ! Il faut imaginer ce que représentait à l'époque le carême et quelle était l'influence de la vie religieuse sur la vie sociale pour voir dans cette manifestation une provocation extrémiste !
La croyance se développe peut-être à cause des conditions économiques difficiles et de la morgue du haut clergé qui va détenir pendant longtemps avec les grands princes, le prix de la classe sociale la plus riche. Les hérétiques apparaissent alors dans toute l'Europe, dans le Sud comme dans le Nord à partir du début du XIIᵉ siècle. Sauf dans certaines parties de l'Europe comme les Balkans, où le bogomilisme deviendra religion d'état, ou en Italie du Nord, ils vont être systématiquement éliminés, soit par l'Eglise qui dressera ses premiers bûchers très rapidement, soit par leurs compatriotes locaux qui refusent cette négation du système social dans lequel ils vivent, et sans lequel ils ne savent pas exister.
L'ARRIVEE DE L'HERESIE EN LANGUEDOC
Dans le pays qui s'appellera plus tard Languedoc, région qui s'étendait en gros de la Provence à l'Est, jusqu'à l'Aquitaine actuelle avec la barrière des Pyrénées au Sud, la situation était assez différente de ce qui se passait dans les autres régions en Europe : bien que le système féodal fût en vigueur, c'étaient les restes de la loi Romaine qui administrait les villes et les campagnes. Le droit d'aînesse, par exemple, qui était de mise dans les états du Nord, n'était pas utilisé dans le midi, les propriétés étant partagées ou mises en "seigneuries multiples". La vie sociale intégrait déjà des assemblées de citoyens avant l'heure, les consuls ou capitouls, qui avaient un pouvoir notamment économique non négligeable et qui administraient notamment les villes nombreuses et puissantes. Les seigneurs féodaux devaient composer avec ce pouvoir "municipal". Le développement économique de la région était important dans une société où le servage était rarement en vigueur. Il faut souligner qu'il y avait à l'époque un esprit de tolérance assez remarquable, qui permit à nombre de communautés rejetées dans d'autres pays de prospérer ou en tout cas, de vivre sans contrainte : c'est vers la fin du XIIᵉ siècle par exemple, que furent élaborés les premiers textes de la Kabbale, étude ésotérique des Ecritures juives, écrits par un rabbin dans la région de Narbonne. Il faut aussi remarquer le rôle des femmes dans la société occitane.
Dans ce milieu ouvert et relativement riche, un aspect classique de société développée va apparaître : c'est le coté "culturel" comme on dirait aujourd'hui. Les chansons des troubadours vont connaître un développement important, avec un intérêt populaire non négligeable. Cet essor culturel va déteindre même sur les pays du Nord, où les troubadours seront copiés ou traduits mais rarement égalés.
D'un point de vue politique, l'autorité la plus importante est bien sûr le
comte de Toulouse et ses plus grands vassaux : le
vicomte de Carcassonne et de Béziers, le
comte de Foix, le comte de Bigorre et les nombreux autres seigneurs possédant des terres et des forteresses. Le midi en est particulièrement bien pourvu depuis les combats contre les arabes et du simple fait de la féodalité ambiante.
Dans cette société prospère, l'hérésie apparaît vers le milieu du XIIᵉ siècle, et s'implante petit à petit à la fois dans les quartiers populaires, mais aussi, et ça c'était nouveau, dans les cercles aisés et dans la noblesse. Sans aller chercher des restes de la vieille religion chrétienne arienne du temps des Wisigoths, il faut chercher les raisons de cet engouement dans un rejet du clergé catholique et notamment des éminences : cardinaux, évêques et abbés, mais aussi peut-être dans une recherche spirituelle plus accentuée. Alors que le catharisme est une religion mettant la priorité sur l'aspect spirituel et philosophique, le christianisme, tel qu'il existait à l'époque, avait intégré les coutumes locales ainsi que les superstitions et il était orienté dans le but de donner un guide pratique de la vie de tous les jours dans tous les domaines à tous les analphabètes qui peuplaient les campagnes et les villes, et à les intégrer à la société. Le spiritualisme était l'apanage des communautés monastiques, encore que celles-ci étaient surtout vues de l'extérieur comme des centres économiques plus que comme des centres réellement religieux. On peut aussi raisonnablement penser que cette progression fut peu endiguée par le bas clergé local qui se trouvait souvent quasiment abandonné par ses supérieurs.
L'hérésie va s'organiser d'autant plus facilement qu'elle va bénéficier de protections. Par contre, elle ne va jamais s'ériger en système politique, et ceci pour les raisons que nous avons vues au-dessus : le renoncement aux valeurs matérielles, et en premier lieu la richesse et le pouvoir. Les Parfaits sont des hommes ou des femmes pauvres vivant de l'aumône qu'on leur fait, et ne gérant aucune fortune ou fief personnel, les biens reçus des croyants cathares étant mis à la disposition de l'ensemble de l'eglise cathare. Les seigneurs protecteurs des hérétiques, quant à eux, le font plus par calcul face au pouvoir de l'Eglise que par conviction réelle, bien que certains aient eu dans leur famille des parfaits ou des parfaites déclarés. Le pouvoir temporel est donc séparé du "pouvoir" spirituel qui n'est pas exercé par les hérétiques de manière coercitive comme l'était le christianisme à l'époque. Le pouvoir politique n'est donc pas basé sur les croyances albigeoises, et l'église cathare, si elle est protégée par les seigneurs, n'a jamais constituée une force politique.
LES ECHECS DE L'EGLISE CATHOLIQUE EN LANGUEDOC
L'Eglise Catholique va se retrouver petit à petit en situation d'infériorité numérique, et ceci, bien que les croyants hérétiques ne représentent pas la majorité de la population : le bas clergé abandonne ses ministères, les fidèles se retrouvent plus facilement dans l'hérésie car celle-ci est finalement beaucoup moins contraignante dans la vie de tous les jours, et les seigneurs en profitent pour renier leurs engagements face au pouvoir ecclésiastique. L'évêque de Toulouse s'en plaindra un des premiers. Il ne faut pas non plus oublier que les sacrements délivrés par l'Eglise Catholique étaient payants soit directement, soit par des aumônes, et que les taxes perçues dans les propriétés de l'Eglise constituaient une part importante des revenus ecclésiastiques. Le manque à gagner devait donc être assez important. Le premier échec était donc économique.
En deuxième lieu, le pouvoir politique prédominant de l'Eglise est désormais contesté, et il découle directement du troisième échec qui est social. Les seigneurs soumis auparavant aux ordres et injonctions des évêques et des cardinaux, commencent à prendre d'autant plus de libertés qu'ils s'aperçoivent que la base populaire rejette la domination sociale de l'Eglise. Face à leurs sujets, ils ne craignent plus l'excommunication comme arme suprême de l'Eglise. Le fait de ne plus être chrétien n'est plus un motif de rejet de la société. L'Eglise perd le pouvoir de décider qui fait partie de la communauté. Elle n'a donc plus de pouvoir social et politique.
Enfin, le troisième échec est spirituel, puisque la religion catholique n'est plus la référence et ne remplit plus ses églises. Ce pourrait être le moins important, mais c'est le plus important des échecs, car le peuple ne sentant plus obligé d'aller à l'église, il n'écoute plus les sermons et ne se confesse plus ; l'Eglise Catholique ne "contrôle" plus les pensées et les actes de ses fidèles, ce qu'elle essaie de faire depuis longtemps dans toute l'Europe.
Face à cette situation, L'Eglise va réagir. La première réaction du pape est l'envoi de missions d'évangélisation. Lancée d'abord dans le cadre normal en utilisant le clergé en place, ces opérations n'obtiennent aucun résultat tangible. Les différents conciles décident ensuite de mettre en place des opérations extraordinaires proches de celles qui seront faites dans des pays non-christianisés. Ces missions sont notamment confiées à un moine espagnol qui sera connu plus tard sous le nom de Saint Dominique et qui sera aussi à l'origine de la création de l'Inquisition. Lancées durant le XIIᵉ siècle, toutes ces opérations n'ont aucun succès et contraignent l'Eglise Catholique à chercher des solutions non plus religieuses, mais politiques voire militaire. Il faut dire qu'à sa tête se trouve désormais
Innocent III, jeune pape élu en 1198. Dès son élection, un prince bosniaque, Kouline, se convertit officiellement au bogomilisme.Balkans. Innocent III provoque une croisade du roi de Hongrie contre le prince, et n'aura de cesse de lutter contre les hérésies internes. Ceci ne l'empêchera pas de lancer aussi trois croisades en Terre Sainte.
L'Eglise essaie de faire jouer ses appuis politiques et utilise son image de conscience du monde. Elle exige d'abord des grands seigneurs occitans l'arrestation des hérétiques connus. Fin de non-recevoir de la plupart d'entre eux. Le comte de Toulouse le premier est sanctionné : en 1208, il est excommunié. Les barons du midi pouvaient pourtant se douter que l'Eglise Catholique, poussée dans ses derniers retranchements, essaierait d'avoir l'appui des grands princes d'Europe comme elle l'a déjà fait dans les nombreuses croisades lancées depuis près de deux siècles, et ensuite passerait à l'attaque.
C'est ce qui se passe. L'Eglise, supplantée dans tous les domaines en Languedoc, n'a d'autre choix que de reconquérir par la force cette province rebelle à sa doctrine. Elle a usé de tous les moyens qu'elle pouvait utiliser en Languedoc pour inverser le mouvement et retrouver sa position initiale, et tous se sont trouvés inefficaces. Désormais, le seul recours est la force militaire, l'écrasement des seigneurs félons et la destruction des hérétiques pour l'exemple.
IL FAUT LANCER UNE NOUVELLE CROISADE !
Mais quel moyen doit-elle utiliser ? L'Eglise est dans une position ambiguë : c'est une puissance de première importance, financière et politique, mais elle n'a pas de puissance militaire hors de sa principauté romaine. Chaque fois qu'elle s'est trouvée dans une situation difficile, il a fallu qu'elle s'appuie soit sur l'Empereur du Saint-Empire Romain Germanique, soit sur les grands princes, le roi de France, le roi d'Angleterre, le duc de Lorraine ou le duc de Bourgogne. En matière militaire donc, l'Eglise a peu de moyen et doit monnayer ses expéditions contre des avantages en nature. En effet, à l'époque le commerce de l'argent était officiellement interdit surtout de la part du clergé. Au début du XIᵉ siècle, le Saint-Siège inventa la croisade et son système "d'exonérations". Le but était de motiver religieusement des hommes de guerre pour aller en Terre Sainte. L'Eglise proposa donc un pardon général de toutes les fautes et péchés si les récipiendaires passaient au moins quarante jours (la fameuse quarantaine) à combattre les infidèles loin de leur pays. Ce système permettait de récupérer tous les seigneurs et leurs troupes qui pillaient et massacraient au mépris des règles édictées par l'Eglise, et il y en avait beaucoup ! Ces seigneurs voyaient ainsi leurs péchés disparaître, et du même coup, ils recouvraient les droits sociaux donnés par l'Eglise : droit de se marier, de posséder un fief, bref, d'être reconnu dans la société à travers la religion. Cette sorte de "nettoyage social" octroyé par la croisade, permis en fait une restructuration de la société, les méchants n'étant pas allés en croisade étant définitivement méchants. Par-dessus ce système, le
Pape et ses cardinaux négociaient directement avec les princes de manière à trouver des "têtes de série" comme on dirait au tennis, qui entraîneraient avec eux leurs vassaux et amis et tous ceux sur qui ils avaient de l'influence. L'Eglise va utiliser ce système pendant plusieurs siècles, mais la croisade sera surtout utilisée en Terre Sainte.
Le système de la croisade parait donc adapté à une expédition contre les seigneurs occitans. Au début du XIIIᵉ siècle, l'Eglise a une grande pratique de l'organisation d'expéditions de ce type. Mais ce qu'il manque bien sûr, c'est les volontaires. C'est une période difficile pour ce genre d'expédition. La 3ᵉ Croisade vient de s'achever sur un échec : l'Empereur Frédéric Barberousse s'est noyé en Anatolie, le roi de France Philippe II Auguste s'est désolidarisé de la croisade avant d'arriver en Terre Sainte, et le roi d'Angleterre Richard Coeur de Lion s'est retrouvé en prison en Autriche à son retour, et Jérusalem est toujours aux mains des infidèles.
Innocent III prépare en plus la quatrième croisade qui verra la prise de Constantinople par les croisés et le dévoiement de cette croisade au profit des intérêts de la république de Venise. Le pape a toutes les raisons d'être inquiet : qui va-t-il pouvoir mettre en tête de liste des volontaires pour la croisade contre les Albigeois ? Heureusement, il va trouver devant lui un personnage dont les intérêts politiques à long terme peuvent converger avec ceux de l'Eglise : c'est le roi de France Philippe Auguste.
PHILIPPE AUGUSTE
Le roi de France est un homme énergique dont l'ambition politique avouée est de faire du royaume de France le premier du monde chrétien, d'abord par son influence politique, et ensuite par son expansion géographique. A l'
époque médiévale, l'expansion d'un fief ne pouvait se faire que par deux moyens : l'alliance (mariage, héritage, legs...) ou la guerre qui devait être avalisée par l'Eglise Catholique. Philippe Auguste travaillait déjà fortement à l'époque pour une expansion du domaine royal, notamment dans le Nord et à l'Est face au roi d'Angleterre, aux grands féodaux et aux princes allemands. De plus, le roi de France avait parfaitement compris que s'il voulait avoir une influence politique de premier plan, il lui fallait avoir des appuis dans l'Eglise elle-même. Pour s'assurer de cet avantage, Philippe Auguste va placer petit à petit des personnages à sa solde au sein même des cardinaux. Son système sera repris par ses successeurs, et aboutira au déplacement du Saint-Siège à Avignon, en territoire quasi français près d'un siècle plus tard. Enfin, Philippe est le premier roi qui aura la volonté de développer une royauté puissante face à des seigneurs féodaux qu'il combattra pour les affaiblir, en devenant l'allié des autres classes sociales : le clergé et les bourgeois. Il utilisera même les services des
Templiers qui deviendront ses banquiers. Au début du XIIIᵉ siècle, Philippe Auguste a les moyens de sa politique.
Le Pape demande le soutien du roi de France dans une possible expédition. Philippe Auguste est évidemment intéressé mais il ne souhaite pas s'impliquer directement car ses moyens ne le lui permettent pas. Mais il sait que son appui est indispensable au pape, et il peut le monnayer. Aussi ne va-t-il pas s'engager officiellement, ce qui va faire dire à de nombreux historiens que le roi de France se désintéresse de cette cause. Mais le roi de France ne peut que suivre avec attention ce qui se passe dans le midi. Après tout, les comtes de Toulouse sont ses vassaux directs et si les seigneurs occitans se libèrent de la tutelle de l'Eglise Catholique, ils peuvent aussi se libérer de leur serment. A l'époque, une grande partie de l'Espagne est sous le contrôle des arabes, et le roi d'Aragon n'a pas la puissance des futurs rois d'Espagne, mais une alliance ou simplement la reconnaissance de la suzeraineté du roi d'Aragon par les comtes de Toulouse prendrait le roi de France à revers. De la même façon, le comte de Toulouse est aussi un vassal du roi d'Angleterre, le grand rival du roi de France. Il pouvait donc être de bon ton de mettre au service de l'Eglise Catholique les forces de sa fille aînée, et de récupérer tous ces grands et riches territoires pour les garder sous sa tutelle. Mais le roi a des problèmes : il a déjà participé à la croisade en Terre Sainte qui a entamé ses réserves financières. D'autre part, il est en guerre quasi permanente avec son cousin le roi d'Angleterre, Richard Coeur de Lion puis son frère Jean-sans-Terre, qui de son coté soulève contre lui les autres seigneurs du Nord de l'Europe. Il refuse donc d'intervenir, mais assure de son soutien le pape, et lui propose même de l'aider dans ses négociations avec le comte de
Toulouse,
Raimond VI.
L'ASSASSINAT DU LÉGAT
En 1208 en Avignon, est organisée une réunion qui regroupe les représentants du Saint-Siège, ceux du roi de France, et le principal accusé, le comte de Toulouse. Une fois de plus, Raimond VI refuse tout compromis, et la conciliation tourne court. Tout parait déboucher sur une impasse quand un événement imprévu et tragique va pourtant fournir au Saint-Siège un motif de lancer la Croisade : l'assassinat du légat du pape,
Pierre de Castelnau, par un proche du
comte de Toulouse. C'est la goutte d'eau officielle qui fait déborder le vase, ou en tous cas celle qui est relatée dans la chanson de la croisade. Il est clair que la décision de l'Eglise de lancer une action déterminante contre les seigneurs occitans défenseurs des hérétiques était déjà prise, et que le pape et le roi de France n'attendaient qu'une occasion de ce type pour officialiser leur opération. Mais il fallait bien un prétexte pour lancer l'action et convaincre les princes... La croisade est lancée.
Le
comte de Toulouse est, lui, dans une position difficile : excommunié, accusé de protection des hérétiques, le voilà maintenant mis en cause dans cet assassinat, lui qui est quand même venu en Avignon pour négocier avec le Saint-Siège. Le légat du pape, Arnaud-Amaury, ne va pas hésiter : les comtes languedociens voient leurs possessions exposées en proie aux croisés. Le comte, s'il ne réagit pas, est dépossédé de ses terres au profit des seigneurs qui se croiseront pour éliminer l'hérésie. Mais
Raimond VI ne coupe pas les ponts. Il part en pèlerinage et se rend à pied sur le tombeau de sa victime présumée,
Pierre de Castelnau, à Saint-Gilles. Il s'engage alors auprès du pape et des cardinaux à rejoindre la croisade et à lutter contre l'hérésie. Cet engagement contre ses anciens alliés et vassaux lui permet dans un premier temps de protéger ses fiefs, car toute possession d'un croisé est sous la protection de l'Eglise pendant le temps de la croisade; et à terme de les récupérer. En fait,
Raimond VI n'a pas le choix : soit il se croise, soit il se retrouve en guerre contre l'Eglise et tous les seigneurs catholiques. Le choix est certes difficile mais le comte connaît les enjeux, et il sait surtout qu'il sera difficile de lutter contre la féodalité européenne tout entière. Son calcul est donc de récupérer à court terme ses fiefs en se mettant du coté des croisés.
LE DEPART DE LA CROISADE
La croisade va s'organiser très vite. Le roi de France, suivant ce qu'il avait dit, ne s'engage pas militairement. Par contre, il va user de tout son poids pour convaincre les grands féodaux français de s'engager. Cet aspect n'est pas négligeable pour lui car il ne faut pas oublier que son combat principal, c'est l'affaiblissement des grands féodaux, et envoyer ceux-ci en croisade loin de leurs fiefs, c'est diminuer leur influence. De grands seigneurs, et non des moindres, puisqu'on verra le duc de Bourgogne, vont se croiser. Pour les plus grands, c'est une occasion de négocier certains avantages avec l'Eglise. Pour les plus faibles, c'est une occasion de conquérir un fief ou de se forger un nom à la bataille.
L'armée se constitue sous l'autorité de l'Eglise. Son chef officiel est le légat du pape,
Arnaud-Amaury, alter-ego de
Pierre de Castelnau. Pour lui, la croisade n'a qu'un objectif : l'élimination physique des hérétiques, c'est à dire le massacre systématique. Tous les seigneurs et leurs troupes sont aux ordres du légat, mais l'armée est aussi constituée de gens d'armes indépendants, les routiers, qui ne suivent la croisade que pour piller et rançonner le pays attaqué. Des routiers sont aussi utilisés d'ailleurs par le comte de Toulouse, et ceci lui sera toujours reproché par l'Eglise, contrairement à la croisade. Cet amalgame ne sera pas forcément très bon à la fois pour la réputation des croisés, mais aussi pour leur efficacité militaire. Du coté des seigneurs occitans, on sait à quoi s'en tenir : les croisés vont attaquer les villes et les châteaux, piller les richesses, déposséder les nobles et massacrer les hérétiques. De plus, ils se sentent probablement abandonnés par le comte de Toulouse qui a rejoint par force et par raison le camp des croisés. En première ligne, c'est le vicomte de
Béziers et de
Carcassonne,
Trencavel, qui va subir les assauts de la croisade.
Un beau jour de
1209, la croisade se met en route, et désormais, la ruine et la désolation vont s'abattre sur le pays d'Oc. Après avoir passé Montpellier qui appartient au
roi d'Aragon, les croisés mettent le siège devant
Béziers. Première déconvenue pour les croisés, les catholiques de la ville refusent de coopérer et de livrer leurs hérétiques. Désormais, la croisade sera obligée de combattre la totalité de la population, et pas seulement les hérétiques comme elle l'avait prévu au départ. La guerre de religion se transforme en guerre de conquête. Le vicomte de
Béziers,
Raimond-Roger Trencavel a laissé la ville à ses lieutenants et est allé s'enfermer à
Carcassonne. A l'époque,
Béziers est une puissante ville fortifiée : juchée sur un promontoire escarpé, elle est protégée en plus à l'Ouest par l'Orb, rivière large et profonde. Les croisés s'installent et les biterrois se moquent d'eux : ha ! Les fiers chevaliers dans leur cote de maille en train de fondre au soleil ! Certains d'entre eux poussent même la chose jusqu'à ouvrir les portes, et traverser le pont sur l'Orb pour les provoquer ! Mais les routiers sont plus prompts au combat que les seigneurs français : ils se précipitent sur les audacieux, les taillent en pièces, foncent sur les portes et pénètrent dans la ville. Avant que les croisés n'interviennent, le massacre a déjà commencé et la ville est dévastée par les flammes avant même d'être mise à sac... C'est à cette occasion que
Arnaud-Amaury aurait prononcé les célèbres paroles :
"Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens !" Tout le monde a entendu parler de cet épisode tragique.
Le premier fief de
Trencavel est dévasté, et sa population massacrée. Les historiens ne sont pas d'accord sur le nombre des victimes du sac (entre 4.000 et 40.000 !) la ville ayant retrouvé une importante population seulement une dizaine d'années plus tard. Toujours est-il que l'Eglise a mis sa menace à exécution, et
Béziers n'est que le premier acte d'une longue série de combats et de massacres qui ne s'arrêteront que près de quarante ans plus tard (
1209 -
1244), avec le bûcher de
Montségur.
Les croisés continuent leur progression et arrivent devant
Carcassonne. Là, les choses vont se ralentir car il faut mettre le siège devant cette ville fortifiée.
Trencavel, à qui
Béziers a tenu lieu de leçon, s'est mis à l'abri derrière ses murs crénelés. Pourtant,
Carcassonne tombera et son seigneur avec. Venu négocier la reddition de la ville,
Trencavel est fait prisonnier par surprise et jeté dans un cul-de-basse-fosse. Le vicomte étant dépossédé de ses fiefs, les croisés et le légat procèdent alors à leur redistribution. Le légat propose les terres au noble de plus haut rang, le duc de Bourgogne, en l'absence du suzerain, le roi de France. Le duc refuse, ainsi que les grands seigneurs. L'assemblée des croisés donne alors les terres à un seigneur du Nord de la France,
Simon de Montfort. Simon devient le nouveau vicomte de
Carcassonne, et en même temps devient le chef militaire de la croisade. Pourquoi
Montfort ?
On peut se poser légitimement cette question, car dans toutes les croisades, la prise du fief est toujours revenue au plus haut noble en rang. Ainsi, Godefroy de Bouillon était le duc de Lorraine, et l'ancêtre de la famille de La Tour d'Auvergne, dont un des plus illustres représentants sera le Maréchal de Turenne. Mais Simon, sire de Montfort, n'est pas un grand seigneur. Il est un combattant valeureux, reconnu pendant les combats et ceci depuis la troisième croisade en Terre Sainte et c'est peut-être pourquoi il est récompensé par les autres seigneurs. En fait, ces derniers ont sans doute fait le calcul suivant : il faut un seigneur au Carcassès (région de
Carcassonne) qui remplace totalement
Trencavel, et qui se sente détenteur des pleins droits sur le territoire. En même temps, ce seigneur ne doit pas avoir d'autres fiefs à surveiller car la croisade n'est pas finie, et il faudra qu'il reste sur place. Il va devenir le représentant de l'autorité légale selon la croisade, c'est-à-dire l'Eglise mais aussi son suzerain le roi de France. Tant qu'à faire, prenons le plus valeureux d'entre nous, s'est dit le conseil.
Simon est donc investi du titre de vicomte de
Carcassonne et de
Béziers, et la croisade obéit tout entière à ses ordres. C'est lui qui restera sur place pour défendre son fief, selon le serment qu'il a fait à l'Eglise Catholique, et qui organisera les éléments armés de la croisade. Cette dernière arrive ainsi à un de ses premiers objectifs sur cette partie du territoire, rétablir l'ordre féodal et catholique.
Désormais,
Simon de Montfort devient la figure de proue de la croisade. Il en sera le héros et la victime, le tortionnaire et l'âme damnée. Cette double personnalité est en fait le résultat de l'écriture du principal texte racontant la croisade qui soit arrivé jusqu'à nous : la chanson de la croisade. Cette chanson, plus reportage engagé que texte héroïque, a été rédigée par deux auteurs radicalement différents en tout cas sur leurs idées. Le premier était un moine espagnol, Guillaume de Tudèle, catholique et fondamentalement pour la croisade. Nous ne savons pas grand chose sur le second, mis à part qu'il était du pays occitan et anti-croisade. Le texte de la chanson change de ton dès qu'il change d'auteur, vers le milieu du livre. Simon de Montfort change lui aussi de rôle : de défenseur de la chrétienté, fils de l'Eglise et vassal du Roi de France, il va devenir le bourreau, responsable des massacres des hérétiques et des batailles livrées sur le sol du
Languedoc. Cette image a perduré jusqu'à nos jours, notamment depuis que certains historiens et écrivains ont présenté la croisade comme la destruction de la "civilisation occitane". Il faut se remettre dans le contexte de l'époque. Les seigneurs français de l'époque, Simon de Montfort y compris, vivent dans un monde où les valeurs principales sont l'engagement et le respect du serment, et la fidélité dans la Foi chrétienne. La mission qu'ils doivent donc faire n'est que l'accomplissement de ces valeurs.
Simon de Montfort, dans les dernières années de la croisade, est constamment trompé par les seigneurs du midi, qui se soumettent quand il arrive, et se rebellent dès qu'il n'est plus là.
Simon leur fera payer très cher ce manquement au serment donné. De plus, l'époque est très brutale. Les guerres et les combats se font sans respect de ce qu'on appelle aujourd'hui les valeurs humanitaires : la notion de civil et de militaire n'existe quasiment pas, et toute la population est prise à partie systématiquement. Le pillage est une activité à part entière parmi la soldatesque, et certains, comme les routiers, ne vivent que par ça. Comment donc, dans ces conditions, éviter des combats qui tournent au massacre, et empêcher que l'armée croisée ne vive en dévastant le pays qu'elle conquiert. Enfin, le légat du pape, autorité morale de la croisade, n'a donné aucun ordre de pardon aux hérétiques, et il est donc normal que le chef des croisés se montre cruel envers ses adversaires, défenseurs de l'hérésie. Pour terminer, si les massacres perpétrés par les croisés ont été nombreux, ces derniers n'en ont pas eu le monopole ; certaines opérations sanguinaires ne sont que la vengeance des croisés face aux exactions des gens du cru sur les français. Ce qui est certain par contre, c'est que les hérétiques ont eux fait l'objet d'un massacre systématique par le bûcher, et ceci sur les ordres des légats du pape, particulièrement
Arnaud-Amaury.
Simon de Montfort n'est donc peut-être pas ce monstre sanguinaire qui a décimé les populations du Midi. Il est sûrement un chef de guerre efficace et sans pitié qui mettra un point d'honneur à mériter le fief qui lui a été attribué par l'Eglise et le roi de France. Il est probablement aussi dévoré d'une ambition furieuse qui le perdra.
Après la nomination de
Simon, la croisade va continuer sa progression et conquérir les places-fortes et villes des comtés de
Carcassonne, de
Narbonne et de
Foix. Mais la croisade ne touche pas au comté de
Toulouse, sous protection officielle de l'Eglise. Les combats vont s'arrêter en
1209 sur cette victoire. Les croisés vont pour la plupart rentrer dans leurs pays d'origine.
Simon de Montfort reste lui à
Carcassonne pour veiller sur son fief et surveiller son voisin, le
comte de Toulouse.
Raimond VI ne reste pas inactif ; il va se déplacer à Rome et obtenir du pape la levée de son excommunication. Toutefois, le pape ne va pas se prononcer sur la culpabilité du comte dans l'affaire de l'assassinat du légat ; il laisse cette décision au légat et aux évèques. Ces derniers maintiennent, eux, la culpabilité de Raimond lors du concile de Saint Gilles.
L'année suivante, l'armée de
Simon lutte contre les seigneurs enfermés dans leur place-forte comme
Pierre-Roger, seigneur de Cabaret, installé dans le nid d'aigle de Lastours qui ne se rendra qu'après un échange de prisonniers quelques années plus tard.
Simon se venge sur le petit village de
Minerve qu'il assiège et pille. Arnaud-Amaury y fera brûler près de 150 hérétiques. Peu de temps après, le château de
Termes, puissante forteresse en plein coeur des Corbières, tombe après plusieurs mois de siège. L'effet de cette nouvelle dans les rangs occitans est désastreux.
Termes passait pour imprenable ; encore maintenant, tous les visiteurs de ce site restent stupéfaits devant l'emplacement choisi. Bien qu'il ne reste quasiment plus rien du château féodal, la butte sur laquelle il était construit constitue une défense naturelle impossible à passer. Les croisés bénéficièrent en fait de l'empoisonnement de l'eau potable du fort, qui obligea
Olivier de Termes à capituler devant
Simon de Montfort. Mais pour ce dernier, l'adversaire final, c'est le
comte de Toulouse.
En
1211, le concile se réunit à Montpellier. Il doit étudier le cas du comte de
Toulouse.
Raimond VI a participé à la croisade du coté des croisés, mais cela n'a pas fait pencher la balance de son coté. Le concile maintient donc sa sentence envers lui et énonce à Montpellier une charte qui devra être observée par
Raimond VI et ses descendants. Cette charte, qualifiée de "Charte Infâme" par les toulousains contient entre autres les points suivants : il devra renvoyer ses routiers ; il devra cesser de protéger les hérétiques et les juifs ; il devra faire maigre 6 jours par semaine ; il devra porter des habits de drap brun et rugueux ; ses châteaux et les remparts de ses villes seront démantelés ; lui et ses chevaliers seront interdits dans les villes ; il ne pourra plus toucher de droits de péage, et il aura pour obligation de partir en terre sainte sous la garde des hospitaliers jusqu'à ce que Rome décide de son retour. Si toutes ces conditions sont réunies, le concile se garde le droit de lui réattribuer ses fiefs, dès la fin de sa pénitence....
Pourquoi cette position ? On aurait pu penser que le concile aurait pu se montrer conciliant... Se pourrait-il que le roi de France ait pu faire jouer ses appuis au concile, et intrigué pour empêcher la réhabilitation de
Raimond, et garder ainsi sous son coude le comté de
Toulouse par la mainmise de
Simon de Montfort ? Ou encore est-ce les évèques et les légats qui ont imposé leur volonté en fonction de leurs intérêts ? La question reste posée...
Evidemment,
Raimond refuse cette charte qui le spolie de tout ses biens, et quitte alors la croisade qu'il n'avait intégré que pour défendre ses terres. Il se réfugie à
Toulouse et s'y enferme.
Simon de Montfort lui, part faire le siège de la puissante ville de Lavaur. Malgré une expédition du
comte de Toulouse et du
comte de Foix sur l'arrière-garde des croisés, la ville tombe, et
Simon, en fureur contre les seigneurs occitans, organise le bûcher de 200 hérétiques et le massacre de 40 chevalier. Dés son retour, il met le siège devant les remparts de
Toulouse et va s'y casser les dents. Profitant de leur force, les seigneurs occitans attaquent Simon à Castelnaudary et le battent. En l'absence de renforts, les croisés retournent donc à
Carcassonne, poursuivis par les occitans jusque devant
Carcassonne, en rase campagne. Malheureusement, les barons du midi ,mal organisés et mal commandés par des chevaliers qui n'ont pas l'habitude de telles batailles rangées, sont repoussés par
Simon de Montfort. Chacun s'en retourne alors dans son fief en laissant
Raimond VI seul à
Toulouse.
Désormais, pour
Raimond, il n'y a plus d'alternative : il doit lutter contre l'Eglise et contre la croisade. Il va donc rechercher des alliés sûrs pouvant lui permettre de lutter à armes égales contre
Simon de Montfort. Les seigneurs occitans sont, il le sait, des amis fidèles et de rudes combattants, mais leur armée n'est guère nombreuse, et cela fait plus de trois ans que la lutte est dure contre l'occupant français. Par contre, un peu plus au sud, il y a un homme puissant et redouté, c'est
Pierre II roi d'Aragon.
Pierre II, c'est le héros de la Reconquista du monde chrétien sur la civilisation arabe établie en Espagne. Il est soutenu par le pape et ses évêques pour la victoire de la Chrétienté, et pourtant, il va devenir l'allié de
Raimond VI, le protecteur de l'église Cathare ! Cette alliance de la carpe et du lapin répond à des intérêts familiaux et géopolitiques, ces deux aspects étant fortement liés à l'époque, car
Raimond VI est le beau-frère de
Pierre II : Eléonore, sa femme, est la soeur du
roi d'Aragon. La chute éventuelle du
comte de Toulouse est aussi pour
Pierre II l'arrivée en force du pouvoir royal français, un concurrent en plus dans la région. Il y a bien sûr du calcul dans la réaction du
roi d'Aragon : si le
comte de Toulouse gagne la bataille avec son aide face au roi de France,
Pierre II sera en mesure de devenir son suzerain unique hors de l'influence du roi de France. Par contre, il n'a pas de réaction vis à vis de l'hérésie albigeoise et visiblement, le problème ne se situe pas là. On s'aperçoit par ce fait et nombre d'autres que si la guerre a été déclenchée par la religion, c'est la politique qui la fait continuer.
Pierre II suit avec attention l'évolution de la croisade, et plusieurs fois, il a tenté des médiations avec les croisés, notamment lors de la prise de
Carcassonne où il avait tenté de raisonner
Trencavel. Mais il était aussi dans une situation ambiguë : en Janvier
1211,
Simon de Montfort a réussi à se faire reconnaître de
Pierre II comme son vassal. Un autre motif de la décision de
Pierre II a été l'imposition des coutumes et lois françaises en
Languedoc par
Simon de Montfort avec les statuts de Muret : désormais, dans le comté de Carcassonne, les hérétiques seront envoyés au bûcher, les juifs seront interdits d'emploi public, un impôt spécial sera levé pour l'Eglise, le métier des armes sera interdit à la noblesse " indigène ", le droit d'aînesse sera obligatoire lors des héritages, contrairement à la vieille loi romaine observée jusqu'alors, et pire encore, les femmes nobles occitanes ne devront épouser que des chevaliers français uniquement avec l'accord de
Simon de Montfort. C'est la fin du style de vie gallo-romain, c'est l'imposition de nouvelles coutumes, c'est la fin de la noblesse occitane au profit des barons français.
Pierre II en est conscient, et ceci va aussi peser dans sa décision.
Auparavant, dès janvier
1213, Raimond VI abdique en faveur de son fils
Raimond VII et rend hommage à
Pierre II. De ce fait, le
comte de Toulouse "en exercice" n'est plus sous le coup d'une condamnation de l'Eglise, et les combats n'ont plus d'objet. D'ailleurs,
Innocent III l'a bien compris et ordonne l'arrêt de la croisade. Pourtant, - et contre son avis - le concile de Lavaur exige la reprise de la croisade et va même l'obtenir ! Encore une fois, les évêques et les légats se liguent contre les comtes occitans et ceci en opposition formelle avec le pape ! Les évêques excommunient même
Raimond VI de nouveau, et envoient une mise en garde contre
Pierre II.
L'armée aragonaise passe alors les Pyrénées et s'avance vers
Toulouse qui est toujours tenu par Raimond VI.
LA BATAILLE DE MURET
Une grande bataille se prépare donc. Elle se déroulera à Muret, dans la grande plaine toulousaine. D'un coté, le comte
Raimond VI de
Toulouse et ses alliés occitans, plus le
roi d'Aragon et son armée entière. De l'autre, les croisés avec à leur tête
Simon de Montfort. Ce dernier a attendu les beaux jours et surtout l'arrivée d'un nouveau contingent recruté par l'Eglise pendant l'hiver.
Simon de Monfort a convenu avec ses chevaliers d'une tactique qui leur permettrait de gagner alors qu'ils sont inférieur en nombre : frapper à la tête, tuer le
roi d'Aragon pour décourager l'armée. De l'autre coté, Pierre II a décidé de donner ses couleurs à un autre chevalier pour ne pas être exposé, lui qui est toujours en première ligne.
La bataille commence, la bataille fait rage ! Au milieu de la mêlée, le chevalier portant les couleurs du roi d'Aragon est soudain cerné par
Alain de Roucy et Florent de Ville, les chevaliers de
Simon de Montfort. Son cheval est mis à bas, et il est immédiatement percé de coups. Mais les chevaliers découvrent la supercherie, et réclament le roi !
Pierre II, perdu par son honneur et par son orgueil, se découvre alors. Il est cerné par les chevaliers de
Simon, et au bout d'un combat acharné, il est tué ainsi que les chevaliers aragonais qui tentent de récupérer son corps. La nouvelle de sa mort se répand comme une traînée de poudre, et provoque la débandade des troupes aragonaises, puis l'armée occitane suit le mouvement. Le carnage sera sanglant et
Simon de Montfort triomphe ! Face à un adversaire plus nombreux, les croisés ont démontrés leurs capacités au combat. C'est la débâcle des seigneurs occitans, et en premier
Raimond VI, qui quitte immédiatement
Toulouse et émigre en Angleterre.
La voie est libre pour
Simon de Monfort qui entre dans
Toulouse en compagnie de Louis, prince de France, futur
Louis VIII, venu en croisade après la bataille...! Depuis le début de la croisade, Simon a joui d'une extraordinaire chance au combat : pas de batailles perdues, des sièges impossibles réussis, et enfin, la victoire face aux plus grands barons du midi réunis en coalition ! C'est à croire que Dieu lui-même intervient pour chasser l'hérésie du
Languedoc, et pour punir ses protecteurs...
LE RETOUR DU COMTE
Battu militairement, le
comte de Toulouse tente trois ans plus tard, en 1215, la carte diplomatique. Il retourne à Rome plaider son cas accompagné de quelques comtes. Au concile de Latran,
Innocent III prend sa défense, mais une fois de plus, les évêques et les légats exigent et obtiennent la déchéance de la maison de Saint-Gilles, de la lignée des comtes de Toulouse.
Innocent III est à la fin de sa vie, il prépare lors de ce concile la cinquième croisade ; peut-être a-t-il cédé pour pouvoir lancer celle-ci ?
Raimond VI est dépossédé de ses derniers fiefs, et
Raimond VII son fils récupère alors la Provence, dernier territoire provenant de sa mère. En
1216,
Raimond VII débarque donc à Marseille avec son père et le
comte de Foix. A sa grande surprise, il est accueilli par les consuls qui lui remettent les clés de la ville. C'est le début d'un incroyable mouvement populaire qui va confirmer les prétentions de
Raimond VII au nez et à la barbe de
Simon de Montfort et des évêques, occasion unique pour les villes de Provence de se déclarer vassales des anciens comtes de
Toulouse et de refuser la puissance de
Simon de Montfort. Parmi ces villes, Beaucaire se distingue en demandant à
Raimond VII de l'aider à chasser la garnison française qui occupe le château. Pour
Raimond VII, Beaucaire est un symbole : c'est la ville où il est né et il se doit de répondre à cet appel ; il rassemble son armée et court faire le siège du château de Beaucaire.
Les français assiégés manquent peu à peu de nourriture, puis d'eau. Autour du château, les provençaux sont approvisionnés par le pays environnant et tiennent le Rhône. Apprenant la situation,
Simon de Montfort part au secours de sa garnison et fait le siège de la ville mais sans pouvoir la cerner complètement. En face,
Raimond VII a organisé la défense et ne se laisse pas surprendre par les attaques qui tentent de briser le siège.
Simon est obligé de battre en retraite et repart à
Toulouse. La victoire du
jeune comte de Toulouse ne passe pas inaperçue dans le midi. A Barcelone,
Raimond VI est recontacté par des envoyés de la ville de
Toulouse, qui, fort de cette victoire sur les français, ont décidés de reprendre la lutte.
Raimond refuse de rentrer mais
Toulouse se rebelle quand même. A son arrivée,
Simon de Montfort trouve la ville close, mais grâce à
l'évêque Foulques, il trompe les meneurs et reprend le contrôle de la ville. Mais
Toulouse n'attend qu'un geste de son ancien maître pour se soulever à nouveau.
Début
1217,
Simon de Montfort, maître de
Toulouse, décide d'étendre encore le territoire qu'il contrôle et part pour la vallée du Rhône avec son armée. Une fois de plus,
Toulouse se soulève dès le départ de l'armée croisée, expulse les croisés et
l'évêque Foulques à l'extérieur de la ville. Même la femme de
Simon de Montfort se retrouve bloquée dans le château Narbonnais à l'extérieur à la ville. Profitant de la situation,
Raimond VI traverse le territoire du comté sans se faire reconnaître, puis entre enfin dans
Toulouse où les capitouls lui assurent leur entière fidélité. Avec ses fidèles, il organise alors la défense avant le retour de
Simon de Montfort. Ce dernier, averti, revient le plus rapidement possible à
Toulouse et se retrouve face à une défense remontée à la hâte qui dispose désormais d'un rideau défensif succinct mais efficace.
Simon n'a que son armée, les renforts de la croisade sont déjà repartis ou ne sont pas arrivés et les combats tournent vite à l'avantage des toulousains qui sont bien retranchés. La ville n'est d'ailleurs pas totalement encerclée, et ses habitants contrôlent la Garonne, par laquelle ils sont ravitaillés. Les croisés tentent diverses attaques directes ou de flanc, mais rien ne passe.
Simon décide d'attendre des renforts et envoie des messages au secours au pape et ou roi de France.
Les mois passent. Début
1218,
Raimond VII le jeune arrive triomphalement à
Toulouse avec son armée.
Simon de Montfort a été incapable de contrer son entrée dans la ville et ne peut que constater son installation. Pourtant, malgré son apport, les toulousains n'arrivent pas non plus à desserrer l'étreinte. Enfin, les renforts croisés arrivent. Fort de cette puissance numérique,
Simon de Montfort passe la Garonne avec une partie de son armée et entre dans le faubourg Saint Cyprien qui n'est pas fortifié. Le pont qui joint les deux rives est détruit par les toulousains, mais les croisés bloquent désormais tout le sud de
Toulouse.
Simon est pressé. Il sait que les croisés repartiront dès la fin de leur quarantaine, et qu'il ne pourra pas rester un an de plus sous les remparts de
Toulouse. Il décide de fabriquer une tour d'attaque, une "chatte" avec laquelle il pourra passer par dessus les défenses et arriver directement sur les remparts de
Toulouse. Un matin, la tour se met en branle et arrive bientôt devant les défenses de la ville. Les toulousains l'ajustent avec leurs pierrières et leurs trébuchets. Les pierres pleuvent dru et commencent à démantibuler la tour qui n'a même pas pu arriver à décharger son contenu de soldats sur les murs de
Toulouse.
Simon prête main-forte à l'avance de la tour, quand une pierre lancée de derrière le front toulousain vient soudain éclater son heaume.
Simon de Montfort tombe raide-mort.
C'est la consternation parmi les croisés. Malgré la reprise des combats sous le commandement d'
Amaury, le fils de
Simon, les croisés et l'armée de Montfort sont démoralisés. Le siège est levé, les croisés repartent chez eux, et l'armée de Montfort rentre à
Carcassonne.
Raimond VII est maître de son comté. Les comtes de
Foix et de Bigorre en profitent pour se libérer de leur serment à
Simon de Montfort.
A Rome,
Honorius III a succédé à
Innocent III. De nouveau, les évêques avec à leur tête,
Arnaud-Amaury désormais archevèque de
Narbonne, soutenus par
Amaury de Montfort, le persuadent de convoquer une nouvelle croisade pour lutter contre le
comte de Toulouse. Les évêques font aussi pression sur Philippe Auguste en arguant du fait que
Raimond VII n'avait pas fait allégeance au roi de France, mais avait même combattu
Simon de Montfort, le comte de
Toulouse "officiel". Cette fois-ci, Philippe Auguste sent qu'il faut intervenir. Il envoie son armée commandée par le
prince héritier Louis secourir la croisade. En
1218,
Louis arrive de Marmande. C'est la première ville sous contrôle de
Raimond VII qu'il trouve sur sa route. Il décide avec la bénédiction du légat du pape, d'en faire un exemple, peut-être en se souvenant de
Béziers. Après un siège terrible,
Louis entre dans Marmande, brûle les hérétiques et massacre les autres. Il arrive ensuite devant
Toulouse. Mais là, une fois de plus, il est obligé de lever le siège sans rentrer dans la ville. Il rentre à Paris dès la fin de sa quarantaine.
Amaury de Montfort est désormais seul face aux comtes du midi. Le
comte de Toulouse, le
comte de Foix sont les maîtres sur leurs sols.
Raimond VI, l'ancien comte de
Toulouse, meurt en
1222 dans une ville libéré des croisés. Mais
Raimond VII n'est reconnu ni par l'Eglise Catholique ni par le roi de France...
En
1223, après la mort de Philippe Auguste, le prince Louis de France devient
Louis VIII. Il va continuer la politique de son père : expansion du domaine royal, en s'appuyant sur l'Eglise et les bourgeois. Il connaît le problème du
Languedoc : il y est déjà allé deux fois en croisade. Pour lui, une seule solution : attendre. La situation pourrira d'elle-même.
Amaury de Montfort ne pourra tenir seul face aux barons du midi, et son seul recours sera ou l'Eglise ou le roi de France. Effectivement, en
1224,
Amaury jette l'éponge et renonce à ses fiefs en faveur de
Louis VIII. Mais il reste un problème : les comtes occitans sont en place et réclament la reconnaissance de l'Eglise contre l'expulsion des hérétiques de leurs territoires.
LA DEUXIEME CROISADE
Il y a probablement eu à ce moment une lutte d'influence au sein de l'Eglise Catholique entre les partisans des languedociens et ceux du roi de France. Mais, les pro-occitans partaient avec plusieurs longueurs de retard : tous les évêques du midi étaient depuis longtemps ligués contre les cathares et leurs "souteneurs", et il n'y avait aucune raison pour qu'ils changent d'avis. Malgré les demandes réitérées de
Raimond VII pour obtenir officiellement son héritage et ses titres lors de concile de Bourges en
1225, l'Eglise va attribuer d'office la totalité des domaines de
Raimond VII au légataire de
Amaury de Montfort,
Louis VIII, roi de France. De plus, devant la position du
comte de Toulouse officieux et de ses alliés, le
pape Honorius III déclare une nouvelle croisade contre les barons occitans.
Louis VIII n'en attend pas moins, et se croise aussitôt. Il part pour le midi en
1226. En
Languedoc, la nouvelle fait l'effet d'un coup de tonnerre : une nouvelle croisade, et avec le roi de France ! Dans les mémoires, on garde le souvenir du massacre de
Béziers, mais aussi celui de Marmande perpétré par le même prince qui revient à la tête de son armée ! A l'annonce de son arrivée, nombreux sont les petits seigneurs qui se soumettent au sénéchal du Roi. Pourtant, certaines villes résistent : c'est le cas d'Avignon, qui va être assiégée pendant trois mois, un siège terrible qui s'achèvera par la soumission de la ville.
Louis VIII installe à
Carcassonne son sénéchal Imbert de Beaujeu, mais évite
Toulouse contre qui il s'est déjà cassé les dents. Toutes les autres villes capitulent et les seigneurs occitans se voient isolés de plus en plus.
Raimond VII est bloqué dans
Toulouse et l'armée royale pratique la stratégie de la terre brûlée. Pourtant,
Louis VIII n'aura pas l'occasion de voir les résultats de la politique de son père et de la sienne, car il meurt sur le chemin de retour vers Paris, à Montpensier, en
1226. Sa veuve,
Blanche de Castille, prend la régence en attendant l'arrivée sur le trône de l'héritier
Louis IX, le futur Saint Louis, qui n'a que 11 ans. Une fois de plus, l'héritage politique de Philippe Auguste se trouve entre de bonnes mains. C'est à se demander d'ailleurs si
Blanche de Castille n'a pas été la réelle souveraine même du temps de son mari
Louis VIII, car la régente garde la même position vis-à-vis du midi : elle attend que
Raimond VII, dernier comte occitan d'envergure, ne soit plus en position de résister. Et il ne l'est plus. Ses derniers alliés le lâchent : le
roi Jacques Iᵉʳ d'Aragon, successeur de
Pierre II, se range du coté de l'Eglise. Le roi d'Angleterre, Henry III, en situation difficile chez lui, n'a guère l'occasion d'attaquer le roi de France à cette époque. De plus, L'Eglise va encore enfoncer le clou, en excommuniant
Raimond VII en
1227, par la voix de Pierre Amiel, nouvel archevêque de
Narbonne.
Raimond VII résistera encore trois ans. Mais en
1229, il se trouve dans une position intenable. Il décide donc d'accéder aux exigences de l'Eglise Catholique et de se soumettre au roi de France. Il se rend à Paris en pèlerin, fait une déclaration publique de repentir et signe le traité de Paris avec la régente
Blanche de Castille. Par ce traité,
Raimond VII s'engage à détruire l'hérésie, à rendre à l'Eglise ses biens confisqués, et surtout à marier sa fille Jeanne, seule héritière du nom, au frère du roi, Alphonse de Poitiers. Si Alphonse meurt sans descendance, le titre et les fiefs seront directement rattachés au domaine royal. En attendant,
Raimond VII conserve son titre de comte de
Toulouse, mais il est sous le contrôle direct du sénéchal du roi, prêt à intervenir en cas de manquement à l'engagement pris. Le comté de
Toulouse vit ses dernières heures sous l'autorité de la descendance de
Raimond de Saint-Gilles.
Pourtant, si les comtes occitans sont sous l'autorité du roi de France, le
comte de Toulouse comme le
comte de Foix, la foi cathare est loin d'avoir été réduite. La guerre du pouvoir est finie, la lutte religieuse continue...
LA RESISTANCE CATHARE
Les croyants cathares sont privés des appuis politiques qui leur avaient permis de s'étendre. Les barons qui ont rejetés le pouvoir royal, les seigneurs "faidits" comme
Trencavel, le fils du vicomte Raimond-Roger, qui se sont exilés à Barcelone, et qui ne rêvent que de reconquérir leurs fiefs, ne leur sont d'aucun secours. Certains seigneurs isolés dans leur forteresse des corbières, comme
Chabert de Barbéra à
Quéribus, vont donner asile aux croyants et aux parfaits et leur permettre de garder leur influence sur le peuple. Ce dernier est obligé d'abandonner ses vieilles coutumes et de supporter les exigences des seigneurs français installés, comme
Gui de Lévis, devenu seigneur de
Mirepoix. C'est désormais le pouvoir royal qui impose ses lois et ses impôts. Les évêques, qui ont récupérés leurs droits et leurs possessions, ont en point de mire la disparition de l'hérésie. Ils vont s'y employer avec les mêmes recettes que celles qu'ils ont utilisées avant la croisade. Mais ils ont retenus la leçon : ils savent qu'il faut faire des exemples et que rien ne vaut la sentence suprême pour décourager les plus tièdes. En 1233, ils obtiennent du pape la reconnaissance officielle d'un office spécifique chargé de la lutte contre les hérésies existantes ou à venir, et qui est confié à l'ordre qui a assuré les missions, les frères prêcheurs ou Dominicains. Cet office prendra le nom d'Inquisition.
L'Inquisition commence en premier lieu dans le midi où sa première mission sera d'extirper le catharisme et d'éliminer par le feu tous les croyants cathares qui refuseront d'abjurer leur foi. Des tribunaux permanents sont installés dans les grandes villes du midi. A Carcassonne, ils s'installeront dans une tour de la cité qui portera le nom de "tour de l'Inquisition". Les bûchers d'hérétiques vont s'allumer un peu partout dans le midi : dès 1234, 210 personnes sont brûlées à Moissac sur l'ordre des inquisiteurs. Cette vague de répression va engendrer une réaction de la part de la population et même de certains seigneurs contre les inquisiteurs qui vont même être expulsés de
Toulouse.
Face à cette menace, les évêques cathares vont se réunir en synode à
Montségur qui devient désormais le symbole de la résistance. Si les cathares ne peuvent plus être soutenus par les seigneurs, leur martyr sera leur but suprême. Retranchés dans leurs nids d'aigle de
Quéribus ou de
Montségur, ils vont lutter contre l'inquisition soutenue par le pouvoir royal. Avec les croyants, parfaits et parfaites, quelques petits seigneurs vont soutenir leur cause en organisant des expéditions punitives à partir de leurs bases arrières des Corbières ou de l'Ariège. Le seigneur de
Montségur,
Raimond de Pereilha, accueille dans son château
Pierre-Roger de Mirepoix, dépossédé par les croisés. Celui-ci n'a qu'un but : se venger des croisés et de l'inquisition. En
1242, soit 13 ans après la soumission de
Raimond VII, un proche du comte de
Toulouse, Raimond d'Alfaro, apprend à
Pierre-Roger que les inquisiteurs doivent se réunir à Avignonet, près de
Toulouse, et il peut même savoir la date de leur arrivée.
Pierre-Roger de Mirepoix organise alors une véritable opération commando pour massacrer les moines inquisiteurs. Ses hommes menés par Raimond d'Alfaro pénètrent dans la chambre des moines, et les massacrent à coup de hache... Les dominicains tombent sous les coups des soldats de l'ancien seigneur de
Mirepoix.
L'Inquisition décide alors de frapper au coeur, et d'attaquer le château de
Montségur.
Un an après le
massacre d'Avignonet, l'armée royale se met en marche avec à sa tête
Hugues des Arcis, sénéchal de
Carcassonne. Formée de chevaliers français et de troupes recrutées sur place, cette armée atteint
Montségur et commence l'encerclement. Ce n'est pas si facile :
Montségur est situé sur un "pog", une montagne abrupte et large, couverte de forêt. Les soldats de l'armée royale essayent de bloquer les passages les plus fréquentés, mais ne peuvent contrôler les petits sentiers à flanc de montagne, connus seuls des montagnards locaux. Le siège prend des allures de passoire car en plus, les soldats recrutés sur place ont une tendance certaine à familiariser avec l'ennemi, et à le laissez-passer discrètement. Le château est donc ravitaillé régulièrement en vivres et en armes. Ceci explique la longueur du siège : installé au mois de mai
1243,
Hugues des Arcis est toujours sur place en Novembre, et
Montségur est toujours debout, les réserves de vivres ne sont pas épuisées et les citernes sont remplies d'eau. La vie n'est pourtant pas simple dans le château : à l'intérieur se trouve la garnison, mais aussi nombre de parfaits et parfaites venus sur le pog comme on viendrait à un pèlerinage. Il faut d'ailleurs remarquer qu'au lieu d'abandonner le site dès que le siège commençait, et ils auraient pu le faire facilement, les cathares sont restés dans leurs cabanes à flanc de coteau, sous le château. Au total près de 500 personnes vivent en haut de cette montagne exposée à tous les vents.
Pourtant, au printemps, les renforts arrivent, le siège se fait plus serré.
Hugues des Arcis fait appel à des routiers basques qui vont réussir à escalader les falaises pour prendre pied sur la plate-forme qui fait face au château. Depuis cette emplacement stratégique, ils vont construire une pierrière qui va bombarder sans cesse les murs d'enceinte de
Montségur. Du coté des hérétiques, la menace est prise très au sérieux : même si la situation n'est pas catastrophique, il faut réagir avant que le piège se referme. Bertrand de Capdenac, spécialiste en machine de guerre, est acheminé alors au château et fait construire une machine qui va répondre coup pour coup à celle des français. Pourtant un mois plus tard, les français réussissent à acheter les services de montagnards locaux qui vont se rendre maître par traîtrise de la barbacane en bois défendant l'entrée du château. Désormais, le piège est refermé. Les cathares ont eu juste le temps de faire quitter le pog au trésor qui sera enterré dans la forêt voisine selon la légende. Les renforts et les vivres pour
Montségur deviennent alors de plus en plus rares, mais le château tient toujours. Fin février, la situation devient intenable et
Raimond de Pereilha, le seigneur de
Montségur, se met d'accord avec
Pierre-Roger de Mirepoix, le chef de la garnison pour tenter une sortie. Ce sera une hécatombe : les français massacrent les attaquants, et manquent de peu de pénétrer dans le château en les poursuivant. Le 1ᵉʳ mars,
Montségur capitule.
Curieusement, les conditions exigées par les français ne furent pas très dures. Il faut dire que le siège durait près d'un an, ceci expliquant la lassitude des soldats des deux camps, et il faut dire aussi que de son coté,
Raimond VII le comte de
Toulouse avait beaucoup négocié avec le pape et les légats pour obtenir sa réhabilitation et celle des assiégés de
Montségur : à part les hérétiques qui n'abjurèrent pas et qui allèrent au bûcher, tous les autres habitants du château sont libérés et pardonnés de leurs crimes éventuels, y compris d'ailleurs ceux ayant perpétrés le
massacre d'Avignonet, qui était un des prétexte du siège. Les inquisiteurs, eux, n'hésitèrent donc pas : les deux-cent dix à deux-cent quinze hérétiques furent amenés et brûlés dans un champ qui s'appelle depuis le champ des "Cramats". C'était la fin du catharisme. Les parfaits, isolés et n'ayant presque plus de soutien de la part des occitans, se font prendre peu à peu. Les derniers irréductibles occitans seront capturés et brûlés lors du siège du château de
Quéribus en
1255. Pour prolonger son action, le Saint-siège créera les ordres mendiants, notamment les franciscains, avec une règle proche de la vie de travail et d'ascèse des parfaits. Il est probable que nombre d'entre eux, notamment ceux des anciens évéchés cathares italiens, verront dans la règle franciscaine une manière de finir leur vie sans abandonner leurs principes.
L'INTEGRATION
Depuis le traité de Paris, les pays du midi étaient désormais sous la coupe du roi de France : directement, pour les fiefs de
Simon de Montfort, après le renoncement d'Amaury, son fils, indirectement, pour le comté de
Toulouse, avec le titre retrouvé de
Raimond VII. Mais le traité de Paris est un contrat inique qui refuse aux descendants de
Raimond VII la légitimité du titre. Seule la fille de Raimond, Jeanne, mariée à Alphonse de Poitiers, frère de
Louis IX, et enlevée de force à sa mère pour être emmenée à Paris auprès de la régente
Blanche de Castille, est l'héritière du titre et des fiefs. Tout autre descendant direct, même officiel, de
Raimond VII ne sera pas reconnu. De plus, si la princesse ne procrée pas, le comté de
Toulouse sera automatiquement intégré au domaine royal.
Raimond VII, tenu par ce traité qui lui a été exigé quasiment de force, essaiera de renverser la situation, notamment en s'alliant au comte de la Marche, Hugues de Lusignan, à qui il avait essayé auparavant de marier Jeanne. Le comte de la Marche est le meneur de la ligue des seigneurs qui vont essayer de lutter contre le pouvoir royal grandissant en se rebellant contre la régente. Mais ce mouvement n'aura pas de suite, et
Raimond sera forcé de rentrer dans le rang. En 1249,
Raimond VII meurt, la princesse Jeanne hérite mais c'est son mari Alphonse de Poitiers, frère du roi, qui devient comte de
Toulouse. Il viendra à
Toulouse seulement deux fois avant sa mort en 1270. De retour de la VIIIᵉ croisade au cours de laquelle
Louis IX mourra devant Tunis, Alphonse de Poitiers, meurt à son retour en France ; sa femme Jeanne, qui l'avait accompagné en Croisade, meurt un jour plus tard. Selon les termes du traité, le comté de
Toulouse est intégré au domaine royal. C'est la fin définitive du comté de
Toulouse en tant que territoire autonome et indépendant.
LES COUPABLES
Le
Languedoc a été dévasté pendant près de cinquante ans, il a perdu son indépendance et une partie de sa culture et sa population a été décimée. Il remettra des dizaines d'années pour se relever économiquement mais contestera chaque fois qu'il le pourra le pouvoir central français. Qui sont donc les responsables et les coupables ?
Bien sûr, les languedociens avaient embrassé une religion hérétique qui ne rentrait pas dans la normalité du temps. Les seigneurs du midi ont protégé systématiquement leurs sujets sans s'inquiéter de leurs croyances. C'était peut-être de l'inconscience de leur part, mais peut-être était-ce plutôt de l'inquiétude face aux menaces sous-jacentes exprimées par l'Eglise. Le catharisme est une explication des besoins spirituels des languedociens, mais certainement pas une menace directe pour la société occitane.
Ca l'a été par contre pour l'Eglise catholique, ou plus exactement pour le Pape, gardien de l'intégrité et de l'orthodoxie de la Chrétienté. Il est normal que le pape ait voulu lutter contre l'hérésie, et nous l'avons vu, il a épuisé tous les moyens de redresser la situation. Sa responsabilité dans le lancement de la croisade est revendiquée et affirmée, mais sa faute fut alors de confier la croisade à des personnages qui l'ont utilisée à des fins purement personnelles et surtout intéressées. En fait, c'est bien les personnages-clefs qui ont fait de la croisade ce qu'elle est devenue par la suite, et non les idées développées d'un coté par l'Eglise et de l'autre par les cathares. Les légats et les évêques du Languedoc et au premier plan,
Arnaud-Amaury et
Foulques, évêque de
Toulouse, sont directement responsables de la croisade, de ses agissements et de ses égarements. Ils sont coupables d'avoir abusé des pouvoirs qui leur avaient été accordés par le pape ; ils sont coupables d'avoir imposé leur vision personnelle de la lutte contre l'hérésie, et surtout contre les seigneurs occitans. Ils sont aussi coupable d'en avoir profité pour s'imposer comme un pouvoir politique incontournable et quelque fois usurpateur. Ils ont été les maîtres réels de la croisade en étant son guide moral, et en bénissant les massacres perpétrés par
Simon de Montfort. Ce dernier, quant à lui, n'a été que l'exécuteur des basses-oeuvres en essayant de profiter de la situation pour se tailler un domaine le plus grand possible. Ceci ne lui fut pas reproché, au contraire. Car le but principal de la croisade n'a pas été l'éradication de l'hérésie cathare, mais bien la conquête de territoires et le remplacement d'une noblesse locale par celle qui conduisait la croisade.
Simon de Montfort, avec la bénédiction des légats et des évêques, a détruit la dynastie des
Trencavel, et luttera jusqu'au bout contre celle de
Saint-Gilles. La lutte contre l'hérésie n'a donné lieu qu'à un massacre systématique mais qui aurait eu lieu même si les seigneurs occitans avaient lutté au coté de l'Eglise ; l'apparition de l'Inquisition est un épiphénomène de la croisade et constitue une histoire presque séparée.
Pourtant, si les coupables principaux sont bien les meneurs de la croisade, en paroles et en actes, il en est un qui profita en permanence de la situation et tira à la fin, comme le dit la fable, les marrons du feu : c'est la royauté française. Philippe-Auguste a joué en permanence : avec les barons français, pour les envoyer à la bataille conquérir une nouvelle province, avec
Simon de Montfort, qu'il reconnu comme vassal tout en sachant qu'il n'aurait jamais les moyens de se maintenir et qu'il lui faudrait forcément faire appel à lui, avec le Pape en exigeant des compensations disproportionnées pour accepter son engagement par l'intermédiaire du
prince Louis. Ses successeurs continueront la même politique :
Louis VIII négociera avec le pape pour obtenir les titres de Aymeri de Montfort avant la deuxième croisade,
Blanche de Castille conquerra le Languedoc, prenant dans ses rets
Raimond VII en kidnappant sa fille la princesse Jeanne. On peut dire de manière sûre que si le
Languedoc n'avait jamais intéressé le roi de France, il serait resté indépendant, et l'Eglise aurait reconnu les droits de
Raimond VII. La croisade contre les Albigeois peut donc presque se résumer en une guerre de colonisation du midi par le roi de France. Encore une fois, l'hérésie ne fût qu'une parenthèse. Tôt ou tard, l'Eglise aurait trouvé un moyen d'éliminer cet abcès, et il faudra de toute façon attendre l'arrivée de pouvoirs réellement indépendants de l'Eglise, pour voir une religion différente du catholicisme avoir un caractère officiel.