L'Eglise Sainte-Marie-Madeleine (texte de Jean-Alain Sipra)
L'église paroissiale de Rennes-le-Château, Sainte-Marie-Madeleine, doit à son ancien curé, le fameux abbé Béganger Saunière (1852-1917), d'avoir accédé à une renommée internationale. Récemment, elle a enfin été inscrite à l'Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques pour son « caractère architectural et l'ensemble de son mobilier saint-sulpicien ». Mais son gros œuvre, notamment la toiture, se trouve hélas dans un état de vétusté dramatique. Sa restauration présente un caractère d'urgence, si l'on veut sauvegarder à la fois le contenant et le contenu de cet édifice culturel, dont la très longue histoire mérite de vous être rapportée :
D'aspect extérieur à la fois rustique et vénérable, cette église doit aux « bandes lombardes » qui ornent son abside d'avoir été, de prime abord, rattachée à l'art préroman du XIᵉ siècle. Cependant, certaines anomalies du tracé de son chevet et de son arcature, et deux vestiges architecturaux caractéristiques - dont l'un, le fameux support d'autel « wisigothique », date du VIIIᵉ siècle – permettent d'inférer que l'édifice primitif était beaucoup plus ancien.
Dans le haut Moyen-Age, Rennes-le-Château se nommait Rhedae, terme qui, en latin, signifie « les Chariots ». Un historien local du siècle dernier, Louis Fédié, émit avec quelques raisons la thèse que cette cité avait été fondée au Vᵉ siècle, par les rois wisigoths de Toulouse. Par la suite, elle apparaît dans les chartes sous les formes Redas, Redez et même, chez certains historiens ibériques qui traitent de l'expédition du roi wisigoth Wamba en Septimanie, en 673, sous celle de Rodez. D'autres sources indiques qu'un peu plus tard, pendant l'occupation arabe de cette province (720-759), Rhedae devint momentanément un siège archiépiscopal, le métropolitain de Narbonne ayant trouvé refuge en ce lieu. Après la reconquête franque et un retour à la normalité, vers 790, la Marche d'Espagne fut placée sous l'autorité du célèbre Guilhem de Gellone, cousin germain de Charlemagne ; Rhedae devint alors la capital d'une très grande entité géographique, le Pagus Redensis, reçu des comtes particuliers, et son église devint un archidiaconé.
C'est là que fut accueilli, en 798, l'évêque Théodulf, missus dominicus de Charlemagne venu en Septimanie pour tenter d'éradiquer l'hérésie félicienne, ou adoptianisme, introduite vingt ans plus tôt dans cette province par les réfugiés hispani fuyant la contre-offensive arabe. Certains prétendent qu'il serait venu à Rhedae pour y consacrer la nouvelle église comtale. Mais ce haut personnage, wisigoth de naissance, connaissait déjà très bien les lieux puisqu'il dit, dans ses écrits « être revenu voir Rhedae ». C'était un savant lettré et bâtisseur, l'un des plus beaux esprits de son siècle, qui appartint longtemps au « premier cercle » de l'empereur Charlemagne, avant de devenir évêque d'Orléans et abbé de Saint-Benoît sur Loire. Le comte qui le reçut, dans la salassa de la forteresse de Rhedae, était son ami Guillemund, wisigoth comme lui et probable fondateur de l'abbaye d'Alet. Il était le père de ce fameux Béra qui, en 811, fut invité à cosigner le testament de l'empereur et reçut en héritage le comté de Razès, puis devint marquis de Gothie en 817. Il fut emporté par la tourmente politique au cours d'un duel mémorable qu'il livra à cheval – à la mode wisigothique - à Aix-la-Chapelle, en 820, devant l'empereur Louis-le-Pieux et sa cour médusés ; et que, pour son malheur, étant alors relativement âgé, il perdit !
L'église comtale fut probablement romanisée - par modification de son chevet - sur l'initiative des comtes de Carcassonne, dont la branche cadette avait succédé en ce haut lieu à la famille de Béra – tombée en disgrâce sous Charles-le-Chauve, en 870 - et dont le plus éminent fut Odon (1005-1017). Ensuite, en 1067, le comté fut vendu à la famille de Barcelone. Le roi Alphonse II le Chaste d'Aragon, venu dit-on récupérer symboliquement son dû, aurait détruit la ville basse de Rhedae vers 1170.
Mais au plan religieux, force est de constater que dans la pays l'hérésie fleurissait à l'état endémique car, après l'arianisme puis l'adoptianisme des Wisigoths, la province se jeta dans les brans du catharisme. Ce fut alors, à l'initiative du pape Innocent III, l'horrible croisade des barons du Nord. Malgré une résistance désespérée des seigneurs locaux –faidits excommuniés et pourchassés, dont les plus pugnaces furent ceux de la famille d'Aniort, qui tenaient notamment la proche forteresse d'Albedun- l'église et les envahisseurs francimans, conduits par Simon-de-Montfort, se partagèrent les dépouilles de la civilisation occitane. Rennes et une partie du comté du Razès échurent alors au sénéchal et de ce dernier, un seigneur d'Ile de France nommé Pierre de Voisins.
Cependant, ce haut lieu de l'histoire, et son église Beata Maria de Reddas, n'étaient pas au terme de leurs vicissitudes. En effet, vers 1360, les vestiges des « Grandes Compagnies » qui suivaient le destin du prince espagnol Henri de Trastamara dévastaient le pays. Elle s'attaquèrent à la forteresse de Rhedae et, malgré les efforts de son seigneur, Pierre III de Voisins, s'en emparèrent et la mirent à sac. Enfin, la guerre de religion parachevèrent l'œuvre de destruction et, en 1578, une grande partie de l'église – notamment la voûte - s'effondra la pioche des Calvinistes. Par la suite, dans un pays très appauvri, la nef fut partiellement réédifiée et l'abside réparée tant bien que mal par des compagnons bâtisseurs à la technique assez rudimentaire ; ce qui explique les graves défauts structuraux très apparents qui grèvent aujourd'hui cet édifice.
Lors de la Révolution, le marquis de Fleury, héritier des Hautpoul-Blanchefort, derniers seigneurs des lieux, émigra en Espagne suivi de son chapelain, l'abbé Antoine Bigou. Signe des temps, le château et les terres furent alors vendus à des particuliers. Un siècle plus tard, en 1885, un enfant du pays, l'abbé Béranger Saunière, fut nommé à la cure de Rennes-le-Château. Avec des fonds d'origine inconnue –qui allaient en partie donner naissance à la fameuse légende trésoraire- il allait rénover l'église Sainte-Marie-Madeleine et faire édifier les constructions néogothiques qui agrémentent, depuis, le village. Mais les tribulations de ce prêtre au comportement bizarre, sans qui la lourde chape de l'outil serait tombée définitivement sur ce haut lieu chargé d'histoire, sont désormais trop connues pour être rappelées ici. Bien que ses travaux aient malheureusement occultés en partie l'état originel de l'église, on lui doit le décor de type "art Saint-Sulpice" -avec son diable insolite gardant une porte d'entrée agrémentée d'inscriptions sibyllines- qui donne aujourd'hui à ce lieu son cachet inimitable. L'ensemble contiendrait, aux yeux de certains, les clés de l'énigme du fameux trésor, matériel ou mystique, qui a fait couler tant d'encre.
L'art « sulpicien », né après 1850, semble inséparable d'une ultime réaction ostentatoire de l'Eglise face aux assauts laïcistes des républicains qui allaient conduire, en 1905, à la séparation de l'Eglise et de l'Etat. C'était une forme d'art religieux de grande diffusion, fait de statues de plâtre réalisée au moule, quelque peu mièvres et très colorées, qui dans l'esprit de bien des gens rappelle inévitablement la Belle-Epoque.
Cette époque fut celle d'une France rurale et paysanne, dont les meilleurs des fils allaient donner leur vie pour la Patrie dans l'enfer de Verdun et la boue des tranchées. Mais aussi celle qui vit arriver le chemin de fer dans la haute vallée de l'Aude, où fumaient déjà les nombreuses cheminées des botiges de chapellerie et où, à la Saint-Michel, les vendangeuses coiffées de calines dansaient le quadrille. Celle, enfin, qui allait voir naître le monde moderne avec l'essor de la science et de l'industrie, puis avec l'apparition de l'automobile, de l'aéroplane, de la T.S.F. et du cinéma.
Mais les croyants les plus anciens se souviendront surtout que c'était aussi le temps de l'imposante et colorée messe en latin, celle de leur jeunesse, servie les jours de fête par des enfants de chœur en surplis rouge et aube blanche, et rythmée par les commandements du claquoir et les clochettes de l'Elévation. L'époque où, dans ce pays, l'officiant congédiait encore les fidèles par un "ite missa est" dont la mélodie incantatoire, venue du fond des temps, semblait être l'ultime réminiscence de l'antique liturgie mozarabe.
Après le Concile de Vatican II, le latin fut abandonné et, au nom de la pureté originelle, les églises furent insensiblement vidées de leur représentations statuaires et iconographiques par le clergé. Dans notre pays aujourd'hui, il existe donc peu d'églises qui, comme Rennes-le-Château, ont conservé ce type de décor religieux, fort décrié par les puristes mais qui a marqué tout un siècle.
- Fronton de l'église Sainte-Marie-Madeleine de Rennes-le-Château (Aude, Pays cathare, Occitanie, France -
La Cité de Rhedae (texte de Jean-Alain Sipra)
Le village de Rennes-le-Château est bâti sur l'emplacement d'un ancien oppidum, établi par les Ibères ou les Celtes Atacins avant la colonisation romaine. Par la suite, ce fut une forteresse qui dominait une cité légendaire, détruite probablement vers la fin du XIIᵉ siècle, dont le nom était Rhedae.
La première mention connue de cette ville figure dans les écrits d'un savant évêque d'Orléans nommé Théodulf, qui se rendit en Septimanie en 798, comme « missus dominicus » de Charlemagne. Ce prélat était un « hispanus », c'est à dire un Wisigoth d'Espagne qui avait fui les Musulmans. Réfugié très jeune en Septimanie, où il fit ses études, il devint, par la suite, l'un des proches conseillers de l'empereur.
S'inspirant des écrits du carcassonnais Guillaume Besse (1645) , l'historien local Louis Fédié émit, en 1877, la thèse très controversée depuis, que la place forte de Rhedae était de création wisigothique. La présence précoce des Goths en ces lieux est bien attestée par l'existence d'anciens campements de barbares Alains, établis après 438 par la patrice romain Aétius dans le sproches Corbières – à Lanet -, pour contrer leur pénétration vers Narbonne. Tout incite donc à penser que le créateur de Rhedae fut le roi Théodoric Ier de Toulouse – ou encore Théodorère – qui, d'après le chroniqueur Sidoine Apollinaire, s'empara de Carcassonne en l'an 440.
Rhedae, considérée comme la forme canonique du toponyme, est la tournure fléchie de Rheda, terme d'origine celte ou gothique passé dans la langue latine, qui signifie Chariot. A ses débuts, cette cité fut sans doute le dernier " carrago ", camp retranché habituel des barbares germaniques orientaux, où les chariots étaient disposés en cercles concentriques, selon la coutume des steppes. Abandonnés à un stationnement définitif en ce lieu, à la topographie très favorable, ils donnèrent naissance à une très importante place forte.
La cité, enclose de murs et dominée par sa forteresse, occupait une emprise au sol d'une quarantaine d'hectares. Son origine royale wisigothique est confortée par la présence de vestiges archéologiques enterrées, visibles sur une photographie aérienne prise par l'Institut Géographique National (I.G.N.) en 1980. Leur tracé est identifiable à celui d'un édifice de plan centré, de parti architectural constantinien et du type martyrium. L'importance de ses dimensions, et la domination des Wisigoths sur le site pendant trois siècles (440-720), portent à croire qu'il s'agissait probablement du mausolée dynastique des rois Balthes dits « de Toulouse ».
Ces monarques, qui régnèrent de façon héréditaire, de 419 à 510, sur un immense royaume qui s'étendait d'Orléans à Gibraltar, furent les suivants :
- Théodoric Iᵉʳ, fils d'Alaric le Grand, mort à la célèbre bataille des Champs-Catalauniques, en Juin 451, Allié au patrice Aétius, ils avaient vaincu Attila, le « Fléau de dieu »
- Thorismund (451-453), Théodoric II (453-466) et Euric le Grand (466-484), ses fils
- Alaric II, son petit-fils (484-507)
Aprèès le désastre de Vouillé, en 507, où le roi Alaric II fut tué par Clovis, les Wisigoths en déroute se réfugièrent dans les contreforts pyrénéens en Septimanie. La très vulnérable cité de Carcassonne ayant été assiégée par Clovis en 508, le Trésor Royal fut probablement mis à l'abri dans la forteresse de Rhedae avant d'être confié, momentanément, aux soins du roi ostrogoth Théodoric le Grand dont un général, Ibbas, avait chassé les Francs de Septimanie.
Après l'assassinat du roi Amalaric, qui régna à Narbonne jusqu'en 531, le siège de la monarchie wisigothique passa en Espagne. Mais la Septimanie – à peu de choses près l'actuel Languedoc-Roussillon – demeura une province espagnole excentrée jusqu'à l'invasion musulmane de 720.
La conversion du roi wisigoth d'Espagne Récarède au dogme de la Trinité, en 589, fut suivie d'une réaction arienne qui provoqua des troubles importants en Septimanie. Troubles au cours duquel les évêques de Carcassonne furent exilés à Rhedae, par le roi Withéric, de 603 à 610. Cet épisode, rapporté par Guillaume Besse, est confirmé par la correspondance, adressée vers 610, à la cours de Tolède par un comte wisigoth septimanien nommé Bulgar de Bulgaran : écrits qui ne furent étudiés et publiés qu'en 1892 seulement.
Par la suite, lors de l'expédition du roi d'Espagne Wamba contre l'usurpateur Paul, qui eut lieu en 673, cette place forte apparaît sous la forme Rodez. Le savant bénédictin dom Vaissette, qui avait relevé cette information dans « l'Histoire d'Espagne » du cardinal de Tolède Rodéric Ximénès de Rada (1240), était demeuré impuissant à localiser cette cité, qu'il savait ne pas être la véritable Rodez. Pourtant, avant lui, Besse avait remarqué que cette forme du toponyme était usitée, au treizième siècle, pour désigner Rhedae et citait, à l'appui, des passages de « L'Historia de los Antiguos Condes de Barcelona », du moine Francisco Diago. Par ailleurs, la forme Rodes figure dansun document manuscrit détenu par la bilbiothèque de Carcassonne et qui concerne la confirmation de l'assignat de Pierre de Voisins en 1248. Auparavant, on trouvait les formes approchantes Rhedez et Redez, dans deux actes notariés datés de 1067 cités par dom Vaissette.
Guillaume Besse (1645) et, si l'on en croit Louis Fédié, l'évêque Pierre de Marca (1595-1662), rapportent que l'archevêque de Narbonne, fuyant l'offensive arabe qui eut lieu en 720, se serait réfugié à Rhedae. Et que lui et ses successeurs y seraient demeurés pendant toute la durée de l'occupation musulmane, c'est à dire trente neuf ans. Ce qui laisse supposer que cette place forte était demeurée aux mains des chrétiens. Enfin, de très vieux écrits espagnols, connus sous le nom de « Chronique Mozarabe de 754 », nous apprennent qu'un ultime monarque wisigoth, nommé Ardo, aurait régné en Septimanie de 719 à 726. L'archevêque de Narbonne, alors ultime Primat d'Espagne, ayant son siège à Rhedae, tout porte à croire, par déduction, que ce fut probablement là que se tint la dernière cour royale wisigothique.
Après la reconquête carolingienne, cette cité devint le chef-lieu du comté du Razès, érigé par Charlemagne en 790, et qui échut au comte wisigoth Guillemund. Elle demeura, au plan spirituel, placée sous le magistère direct des archevêques de Narbonne.