Carcassonne, nouvel enjeu de la Croisade contre les Albigeois (1209-1247)
En 1196, la paix conclue entre les comtes de Barcelone et de Toulouse isole les
Trencavel sur l'échiquier méridional. Soucieux d'éviter d'apparaître comme le seul protecteur des hérétiques cathares dont le mouvement dissident connaît un essor considérable depuis le milieu du XIIᵉ siècle, le
comte de Toulouse, Raymond VI entreprend habilement de faire peser les soupçons de l'Eglise et du
pape Innocent III sur son voisin et vassal Trencavel.
L'échec de la prédication cistercienne et l'assassinat du légat pontifical
Pierre de Castelnau, le 14 janvier 1208, provoque le déclenchement de la croisade dite « contre les Albigeois » puisqu'on le discours officiel de l'Eglise assimile alors les hérétiques cathares et les habitants de la ville d'Albi, possession emblématique des Trencavel.
Premier visé par l'action de cette première guerre sainte en pays chrétien, le comte de Toulouse fait amende honorable devant le
légat pontifical Arnaud Amaury à Saint-Gilles au printemps 1209. Les croisés doivent se trouver un nouvel objectif et se porte devant les domaines du jeune vicomte Raymond Roger Trencavel, Béziers d'abord,
Carcassonne ensuite devant laquelle les croisés mettent le siège à la fin du mois de juillet 1209.
Après avoir investi le bourg nord dès le 3 août, les croisés cherchent à se rendre maîtres des points d'eau pour assoiffer les habitants de la Cité. Le 8 août, le deuxième faubourg, au sud de la Cité, le Castellar, tombe entre leurs mains. Ils se retrouvent face à l'enceinte de la Cité. Trencavel a fait renforcer les défenses de sa forteresse, sacrifiant le réfectoire et le cellier des chanoines de la cathédrale et utilisant le bois des stalles afin de faire renforcer les hourds de ses tours. Un long siège semble commencer, mais Il ne durera que quatorze jours. La chaleur et les privations auront raison des défenseurs de la Cité, soumis aux bombardements des machines de guerre mises en batterie sur le coteau situé en face du front sud de la forteresse. Trencavel est contraint de se rendre. Le samedi 15 août 1209, les croisés entrent dans la Cité. Ils prennent possession du logis vicomtal. Raymond Roger est emprisonné. Il mourra dans son cachot le 10 novembre suivant. Les habitants sont chassés, abandonnant tous leurs biens aux vainqueurs, « n'emportant que leurs pêchés », précise le chroniqueur des croisés, Pierre des Vaux-de-Cernay.
Choisi par les principaux princes et les représentants de l'Eglise, le comte
Simon de Montfort s'installe à
Carcassonne et devient le chef militaire de l'armée de croisade. En quelques mois, il cherche à se rendre maître des anciens domaines des Trencavel. Sa soif de conquête le pousse très vite à élargir ses domaines vers les terres du comte de Toulouse. Cette ambition lui sera fatale. Il mourra le 23 juin 1218 devant les murs de cette cité. Son fils
Amaury fera transporter son corps à
Carcassonne ; il sera inhumé dans l'absidiole sud de la cathédrale Saint Nazaire.
Après avoir tenté de s'imposer à son tour comme nouveau maître de
Carcassonne,
Amaury cèdera l'ensemble de ses droits au
roi de France Louis VIII pur repartir vers l'Ile de France en emportant avec lui les restes de son père. Son départ presque inopiné permet au
comte de Toulouse, Raymond VII de mettre la main sur
Carcassonne. Il remet la ville et la forteresse entre les mains de son héritier légitime, Raymond Trencavel. Le roi de France qui se retrouve spolié décide d'intervenir et organise une nouvelle croisade. A l'annonce de l'arrivée du souverain,
Carcassonne se soumet sans combattre en juillet 1226. L'abbé bénédictin de Lagrasse, Benoît d'Alignan reçoit, comme représentant du roi et de l'Eglise, la reddition des consuls et des notables de la ville contre la promesse de ne pas intervenir contre l'armée royale. Le comte de Foix, qui tenait la forteresse au nom du vicomte effectue également sa soumission. Le 26 juillet, Louis VIII en personne reçoit les clefs de la ville.
La vicomté de
Carcassonne n'existe plus. Tandis que les consuls et les représentants des principales familles de la ville confirment solennellement leur fidélité au roi, les agents de la couronne préparent l'annexion de son territoire au domaine royal sous la forme d'une sénéchaussée.
Conscients que toutes menaces ne sont pas définitivement écartées, les représentants du roi font renforcer les défenses du château vicomtal, maintenant siège de l'autorité royale, fraîchement établie. Le « palais » des Trencavel se fait citadelle, sur le modèle des constructions fortifiées d'Ile de France. Selon l'archéologue Alain de Salamagne, les deux premiers sénéchaux Eudes le Queux (1228-1239) et Jean de Fricamps (1228-1239) se seraient contentés de remettre en état les murailles et les tours wisigothiques. S'ils projetaient de faire des travaux d'envergure, ils n'en eurent pas le temps. En septembre 1240, Raymond Trencavel marche sur la Cité. Arrivé de Catalogne par le col du Perthus, il traverse les Corbières et gagne la vallée de l'Aude. Alet, Limoux lui ouvrent leurs portes. Il fonce ensuite vers le nord, s'empare de Montréal et de Montolieu où le monastère bénédictin est mis à sac. Les principaux villages du Minervois se rallient à lui. Progressivement, ses troupes et ses partisans isolent la Cité. Cette longue marche fut une véritable levée de masse en sa faveur. Nombreux sont les grands et petits seigneurs locaux, ces "faydits" jadis chassés par les croisés, qui viennent le rejoindre.
A l'abri des murs de la Cité, le sénéchal Guillaume des Ormes attend. La Cité est mise en état de défense. Les murailles sont couronnées de hourds, des vivres sont réquisitionnés. De nombreux ecclésiastiques, pris de panique, viennent se réfugier à ses côtés. L'archevêque de Narbonne, l'évêque de Toulouse sont présents. Pour tous les protagonistes, il est clair que la bataille qui s'annonce dépasse l'enjeu du sort du comté. Trencavel menace directement les intérêts de l'Eglise et la pacification du pays qu'elle a entreprise avec l'aide de la Couronne.
Les premières hostilités vinrent des faubourgs où la population se montrait moins prompte à résister à la coalition méridionale. Le bourg de Graveillant situé au pied de la Cité, sur la rive droite de l'Aude, en face de la porte de Toulouse, était sans doute le maillon le plus faible de la défense de la Cité. A plusieurs reprises, l'évêque de Toulouse y était venu exhorter les foules à défendre les intérêts du roi. Le 7 septembre il s'y était même rendu avec le sénéchal en personne pour leur faire prêter serment devant Dieu, dans l'église Sainte Marie. C'était peine perdue.
Dans la nuit du 8 au 9 septembre, les partisans de Trencavel s'introduisent dans le bourg avec la complicité des plusieurs habitants. Trente-trois prêtres sont assassinés à la porte du Salin. Les habitants du bourg prêtent serment à Trencavel. Cette action commando n'était pourtant que le prélude des opérations. Les véritables combats débutent le 17 septembre. Ils allaient durer vingt-cinq jours. Dans un premier temps, les assiégés reprirent l'initiative et réinvestissent le bourg de Graveillant. Ils y font provision de bois, puis se retirent à l'intérieur de l'enceinte. Les hommes de Trencavel contre-attaquèrent mais ne parvinrent qu'à gagner un moulin. Ce n'est qu'au cours d'une opération suivante que plusieurs seigneurs méridionaux, parmi lesquels Olivier de Termes et Guiraut d'Aniort, reprennent le bourg et brûlent les rues qui remontaient à la Cité afin de couper leurs troupes de toute intervention venant de la forteresse. Dans le même temps, d'autres chevaliers méridionaux s'installent entre le pont et la barbacane du château avec des arbalétriers et un mangonneau, capable de lancer des pierres pour défoncer la muraille. Pour contrecarrer leur plan, Guillaume des Ormes fait installer en face une pierrière turque. Un duel de bombardement et de tirs croisés de carreaux d'arbalètes s'engage.
Parallèlement à cette attaque, les assaillants commencent à creuser une mine - une galerie souterraine- sous le mur est de la Cité, au niveau de la barbacane de la porte Narbonnaise. Surprenant le travail des mineurs, les assiégés consolident la muraille avec un grand mur de pierres sèches. Ils évitent ainsi que toute la muraille de la barbacane ne s'effondre quand les hommes de Trencavel mettent le feu aux poutres et aux solives qui soutiennent la galerie souterraine.
A chaque tentative de sapes, le sénéchal fait répondre par des contre-sapes efficaces. A maintes reprises, la Cité est sur le point de céder, mais aucune tentative des assaillants ne parvient à ses fins. Compte tenu de l'échec de cette tactique, Trencavel décide de tenter le tout pour le tout: le 30 septembre, un dimanche, il ordonne l'assaut de la barbacane du château. Guillaume des Ormes fait front avec tous ses arbalétriers et toutes ses machines. Trencavel est contraint de rebrousser chemin, mais ne se décourage pas. Apprenant qu'une armée de secours envoyé par le roi marchait sur
Carcassonne, il tente une nouvelle attaque de grande envergure, le 6 octobre. Mais ses hommes sont à nouveau repoussés. Les pertes sont sévères. Le 11, le vicomte doit se rendre à l'évidence: il doit fuir et remettre à plus tard ses projets pour
Carcassonne. Tandis que les habitants du bourg mettent le feu à leurs maisons, ses hommes se retirent vers Montréal, après avoir totalement détruit le couvent des franciscains ainsi que l'abbaye Notre-Dame situés dans le bourg.
Assiégé à son tour dans Montréal par les troupes royales,
Trencavel fut contraint de reprendre le chemin de l'exil vers la Catalogne. Il ne renoncera à ses droits sur
Carcassonne et son ancien comté qu'après l'échec du soulèvement de Raymond VI en 1242. C'est chose faite en 1246. Un an après, il brise solennellement son sceau devant le
roi Louis IX qui en signe d'apaisement accorde son pardon aux carcassonnais, à l'exception de ceux qui ont prêté leur aide aux vicomtes, recherchés par la justice royale.
Pendant le siège, les faubourgs qui entouraient la Cité avaient été en grande partie détruits. Pour punir les habitants qui s'étaient rebellés contre l'autorité royale, le comte Jean de Beaumont qui était venu soutenir les assiégés allait finir de les raser. Après la soumission de Trencavel, le roi souhaita, en janvier 1248 que son nouveau sénéchal Jean de Cranis, rappelle les habitants des faubourgs et les installent dans une « ville neuve » qui ne menacerait plus les intérêts de la Cité. C'est ainsi que furent jetées les bases de la « bastide Saint Louis », séparée de la forteresse et de la ville haute par le fleuve. Tandis que la Cité gardait son rôle militaire, la ville basse devint très vite le cœur économique de cette nouvelle
Carcassonne bicéphale et un grand centre de production de draps, capables d'envoyer ses marchandises dans tout le Languedoc et l'ensemble du bassin méditerranéen.