Qu'il me soit permis d'évoquer d'abord les motivations qui m'ont amené à écrire ce livre. En 1985, je menais des recherches sur les mines et la métallurgie des Corbières dans le cadre d'une maîtrise à l'Université de Paris I. Un nom revenait sans cesse dans la documentation : Olivier de Termes. Tel le marquis de Carabas du conte " Le chat botté ", tout lui appartenait ou presque dans ma zone d'étude. À la différence près que même s'il était un personnage digne de roman ou de légende, il avait été bien réel. Poursuivant mes recherches en D.E.A. sur les moulins et les forges de l'Aude au Moyen Âge, j'ai croisé à nouveau les routes d'Olivier. Il apparaissait non seulement comme un grand seigneur féodal, mais aussi comme un acteur majeur de l'histoire du Languedoc, voire de celle de l'Europe et ses prolongements en Orient au XIIIe siècle. Ma surprise a été de voir que malgré le grand nombre de notices historiques qui lui avaient été consacrées, malgré un roman historique portant son nom, il n'y avait guère que deux articles qui avait tenté d'approfondir le sujet. Il fallait en savoir plus. Ainsi ce qui n'était qu'une étude accessoire destinée à éclairer mes recherches d'histoire des techniques, est devenue de fil en aiguille le sujet principal de mes recherches. La biographie d'Olivier de Termes est destinée à constituer une part notable de la thèse que je prépare à l'Université de Toulouse-le-Mirail. Mais pour faire face à la curiosité du public, je n'ai pas attendu l'achèvement de ma thèse et je livre ici mes premiers résultats.
C'est probablement la dispersion des sources qui avait rebuté les chercheurs à tenter une biographie d'Olivier de Termes. La première tâche a donc été de rassembler une documentation dispersée entre une dizaine de dépôts d'archives sur trois pays, en raison de l'envergure internationale de ce chevalier. Tâche fastidieuse consistant à lire ligne par ligne des milliers d'actes ou de folios. Tâche qui n'est d'ailleurs pas encore achevée, notamment dans les archives de la Couronne d'Aragon et les lecteurs découvriront certainement d'autres documents que je recevrai avec plaisir. Mais la moisson a été à la hauteur du travail. Plus de 240 actes, les extraits de 24 chroniques médiévales et de 14 dépositions devant l'Inquisition ou la justice royale renseignent sur Olivier et sa famille. Cette masse documentaire est exceptionnelle pour un homme du rang d'Olivier. À la documentation écrite il faut ajouter tout ce qu'a apporté l'archéologie, indispensable à l'étude du cadre de vie. Le travail en Termenès avait été largement entamé par deux études sur les châteaux des Corbières. En participant aux fouilles de plusieurs sites des Corbières, dont le château de Termes et en réalisant un inventaire du patrimoine culturel pour le compte du département de l'Aude, j'ai pu rassembler dans ce domaine une abondante documentation.
Restait à savoir comment exploiter l'ensemble de cette documentation. Une première approche des sources écrites permettait surtout de connaître les faits politiques et militaires auxquels Olivier a été mêlé et de dresser un état de son patrimoine. Bref de connaître les manifestations extérieures de son pouvoir politique et économique. Encore que certains domaines de la politique comme la diplomatie n'apparaissait pas de manière explicite. Pour aller plus loin, il fallait essayer de lire les documents entre les lignes, de les étudier chaque fois dans leur contexte et surtout de les confronter entre eux. C'est ainsi que l'étude minutieuse des relations d'Olivier éclaire beaucoup sur sa personnalité, ses convictions politiques ou religieuses, sur son rôle diplomatique jusque là méconnu. En confrontant des sources très diversifiées, les méthodes utilisées ont donc permis d'éclairer bien des aspects de la vie d'Olivier, y compris certains aspects de sa vie privée. Mais il ne faut pas cacher que les sources comportent de graves lacunes. Nous ne savons pas grand chose par exemple des relations d'Olivier avec son premier cercle d'intimes : sa mère, sa femme, son fils, ses serviteurs. Il m'a semblé enfin que l'intérêt de cette étude serait diminué si Olivier n'était pas replacé dans le cadre politique, social, religieux etc. de l'époque ou il vivait. Le lecteur me pardonnera donc quelques développements plus ou moins longs.
De la documentation quelques axes de recherches se sont vite imposés. Il fallait comprendre pourquoi Olivier était devenu rapidement l'un des deux plus actifs des seigneurs faidits du Languedoc, un protecteur d'hérétiques. Il fallait comprendre ensuite pourquoi ce chevalier excommunié par l'Église et poursuivi par le Roi de France était devenu un familier du même roi de France et son plus efficace soutien en Languedoc. Il fallait comprendre enfin ce qui avait finalement poussé Olivier à tout sacrifier à la défense de la Terre Sainte et à devenir l'un des plus fidèles bras armés de l'Église.
J'espère par cette biographie faire non seulement connaître un acteur insuffisamment connu de l'histoire, mais aussi de contribuer plus généralement à l'histoire d'une période de profondes mutations en Languedoc, en Catalogne et en Terre Sainte.